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De l’état d’urgence et des urgences de l’Etat, par Seif Ben Kheder


7 Juillet 2015

Tribune libre de Seif Ben Kheder , un intellectuel tunisien aux antipodes de la nouvelle « élite » qui grenouille et scribouille depuis plus de quatre ans. Il aborde ici la question de l’état d’urgence, récemment décrété par le président Béji Caïd Essebsi, en mettant l’accent sur "les urgences ratées" et les mesures prioritaires que le gouvernement doit prendre.


En décidant l'état d'urgence, le président Béji Caïd Essebsi prend la mesure du péril islamo-terroriste qui menace la sécurité de la Tunisie.
En décidant l'état d'urgence, le président Béji Caïd Essebsi prend la mesure du péril islamo-terroriste qui menace la sécurité de la Tunisie.
Avions-nous besoin de décréter l’Etat d’urgence afin de pouvoir appliquer simplement la loi sur les hors la loi ? Un Etat d’urgence, comme le cite son texte législatif, octroie des prérogatives supra-légales et des mesures en rupture totale avec les droits élémentaires et les libertés fondamentales, devrait en principe permettre au pouvoir exécutif ce que les lois en vigueur ne lui ont pas permis d’atteindre, dans un contexte de danger qualifié de majeur et qui menacerait directement l’intégrité territoriale, la sécurité nationale ou encore l’existence même de l’Etat en tant qu’autorité. Or, il va du bon sens, avant de décréter l’Etat d’urgence, de dresser le bilan de l’ensemble des défaillances et des incompétences commises qui nous ont amené à cette situation, aussi bien de la part du représentant du pouvoir que de celle du représentant du contre pouvoir (société civile indépendante).

L’objectif étant tout raisonnablement celui d’arrêter un vrai diagnostic de la pure réalité politique et sociale dans le seul but de prescrire en conséquence le traitement nécessaire, doté d’aspects multidimensionnels.  A la suite de quoi, l’exercice nous habilitera de clarifier la manière avec laquelle sera usé ce décret présidentiel annonçant une situation extrême, ainsi que les résultats attendus de sa mise en exécution. Ces deux paramètres, le bilan de l’avant décret et les modalités de l’application du décret sont donc nécessaires à la consolidation de l’efficacité des résultats escomptés. Il sera sujet dans ce papier de parcourir sommairement, dans un premier temps, les urgences ratées par la classe politique au pouvoir et qui ont contribué d’une façon directe à la détérioration grave du climat général dans le pays, suivies par un dessin des zones d’inefficacité, voire contre productive, du recours à l’état d’urgence.

DE L’URGENCE RATEE DES REFORMES DES CORPS ARMES

 C’est l’une des réformes les plus pressantes qui auraient dû être entamées dès la prise de fonction de ce gouvernement élu, selon une vision globale qui répond parfaitement aux exigences de la menace terroriste que nous subissons depuis exactement 4 ans et 7 mois. Une guerre déclarée d’un seul coté, celui des bataillons de la mort, contre les forces de la police, l’armée nationale et les symboles de l’Etat, sans que ce dernier ne leur réponde par une déclaration similaire, annoncée officiellement par un décret-loi présidentiel, qui sera publié par la suite dans le journal officiel et induisant l’instauration d’une économie de guerre, des structures armées de guerre et une logistique de guerre. A ce propos, les phrases introduites dans les différents discours politiques signifiant que nous sommes en guerre contre le terrorisme ne sont que folkloriques. Cherchant par là un effet d’annonce médiatique qui n’a fait que décrédibiliser la force de frappe de l’Etat à l’encontre de l’ennemi.  Avec les 1 Milliards 700 millions de dinars comme budget de la défense et encore moins pour la police (la somme des deux représente seulement 10 % du budget de l’Etat), qui servent en majeure partie à couvrir les frais de gestion, ne peuvent nullement nous permettre de confronter ce cancer jihadiste qui dispose de moyens hors tout contrôle en armes, en finances et en ressources humaines.

A titre comparatif, la Tunisie a signé en 2014 et en 2015 deux contrats d’achat d’hélicoptères d’assaut et de transport qui lui ont couté l’équivalent de la totalité du budget de la défense.  Sans parler du manque terrible des armes et accessoires de base ni d’un quelconque matériel sophistiqué. Pour dire combien nous sommes loin des besoins réels à satisfaire que nous dictent les déficits de nos institutions.

Par ailleurs, il y a aussi la réforme structurelle des deux ministères concernés. Des chaînes de commandement à réviser, de la formation à développer et à élever aux standards internationaux, aux doctrines à changer, en passant par la création de structures adaptées en renseignement et en commandement et la purge très urgente à faire des éléments introduits sous l’ère de la Troïka, l’on peut dire que rien n’a été fait. Pas le moindre iota n’a bougé face à toutes ces obligations. Quant à une vraie stratégie de lutte contre ce fléau, pour ne plus prononcer le mot guerre car c’est d’un ridicule insupportable, les politiques se sont simplement contentés d’occuper leurs nouvelles chaises pour certains ou de les garder au chaud pour d’autres. A zéro programme, zéro résultat, avec grande possibilité de dégradation. C‘est exactement ce qui se passe.

DE L’URGENCE RATEE DE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION ET LA CONTREBANDE

Pour simplifier les chiffres, la contrebande produit aujourd’hui la moitié ou presque du produit intérieur brut. Le rapport de la cour des comptes pointe du doigt les secteurs névralgiques de l’économie et de la sécurité qui sont le plus touché par l’ampleur de la corruption. D’autres études étrangères, principalement des instituts internationaux qui déterminent les valeurs des indicateurs macroéconomiques des Etats du monde, nous livrent les mêmes constatations de nos propres organismes nationaux.

Là aussi, rien n’a été fait. Bien au contraire, il s’avère de plus en plus que la contrebande et la corruption s’infiltrent sûrement dans les cercles du pouvoir. Les cent vingt et quelques boss de l’économie parallèle dont parle la presse d’investigation n’ont pas été inquiétés avant et après l’état d’urgence. Seulement un nous déclare-t-on il y a deux jours, considéré comme terroriste actif, a été interpellé et s’est suicidé dans l’opération de la descente à son domicile. Il sera officiellement le premier terroriste qui se suicide en dehors d’un attentat. Le bizarre en personne est curieux de savoir le comment et le pourquoi de l’histoire non achevée. On ne finira jamais d’attendre l’arrestation des 120 autres.  

A ce jour, aucune enquête n’a été initiée pour déterminer exactement l’ampleur de la corruption dans chaque service public, y compris et surtout la justice, la douane et la police. Est-ce que l’état d’urgence encouragerait à le faire ?

DE L’URGENCE RATEE D’INVESTIR DANS LES REGIONS FRONTALIERES

Plus de 900 Km de l’Ouest et plus de 500 Km du Sud-est, où les populations cumulent plus d’un demi siècle de marginalisation mortelle n’ont reçu aucun soutien de l’Etat au sein de ses trois pouvoirs. Même les projets publics décidés depuis 2010 peinent encore à dépasser les 30% de leur taux de réalisation. Des laissés pour compte à qui l’on offre indirectement le seul choix entre mourir noyé ou tuer jusqu’à la mort. Les jeunes qui représentent la composante principale de ces communautés locales et la masse des recrues jihadistes ne savent pas ce que c’est qu’un centre culturel, un conservatoire de musique, une salle omnisport, un cinéma, un théâtre, une bibliothèque, ou ne serait ce qu’un manège. La mort qui appelle au suicide. D’autant plus que les quatre mousquetaires au pouvoir n’ont toujours pas été capables de s’adresser à cette jeunesse déboussolée et tuée avant même qu’elle ne se suicide. Les jeunes n’ont aucunement fait office d’interlocuteurs dans les discours des politiques. L’état d’urgence viendra ici couper toute forme de communication encore possible entre les gouvernants et les gouvernés. 

DE L’URGENCE RATEE DE LA REFORME DE L’ISLAM ET DE SA SEPARATION DE L’ETAT

La Tunisie n’a toujours pas su trancher de la nature de son Etat depuis la décolonisation. Un consensus a été trouvé autour de l’article premier qui dote l’Etat d’une religion qu’est exclusivement l’Islam. Ce même consensus stipule que cet Etat doté d’une religion qui plus est la protège de toute atteinte à la pudeur se veut aussi à caractère civil. De l’insensé à dentition variable. A travers son Islam d’Etat, la Tunisie se retrouve volontairement ou involontairement sur la même ligne éditoriale de Daech. Des relations sexuelles régies par la Charia au port d’alcool interdit, en passant par la verbalisation des non-jeûneurs dans les lieux publics et la moitié de l’héritage pour la gent féminine ainsi qu’une procuration d’un tuteur pour ses voyages conformément à son statut de demi-être, là, l’Islam d’Etat n’a d’autre sens que la Charia et un calife à sa tête.

Ceci se répercute sur les autres aspects politiques des affaires de l’Etat comme celui de la politique extérieure. L’Islam d’Etat déclaré sunnite s’est consciemment aligné avec les mêmes positions que Daech sur les conflits Syrien et Yéménite. Au point où l’on est arrivé même à des similitudes frappantes de communiqués, publiés simultanément de la présidence de la république et du calife Al-Baghdadi au sujet de l’agression de l’Arabie sur le peuple yéménite. 

Du débat qui n’a jamais eu lieu entre l’Islam d’Etat et la Charia est né un deuxième débat qui n’est pas prêt encore d’être ouvert, entre l’Islam et l’Islamisme. Les défenseurs du premier refusent de s’identifier au second, qui, lui, puise son existence dans les préceptes du premier. Ce cercle vicieux ne consommera sa rupture qu’après avoir compris que l’Islam doit être réformé en vu de le laïciser, comme ce fut le cas pour l’église, le faire sortir de son contexte médiéval et l’élever aux dimensions des valeurs universelles et des vertus du développement personnel. Un Mufti payé par le contribuable au coté d’un autre législateur n’a aucune raison d’être au 21ème siècle. Tout comme le film « Al-Risala » tourné en boucle dans les chaînes de télé le jour de l’Aîd, où l’on est aveuglé par le même drapeau de Daech qui couvre l’écran toutes les deux secondes. Tout comme le ministre des affaires religieuses qui fête la bataille de « Badr » à la mosquée « Oqba » de Kairouan au même moment des festivités tenues par Daech.

Sans même besoin d’évoquer les partis politiques et les associations qui revendiquent l’idéologie de Daech en toute légalité et en public. Nous devons arrêter de se suicider par le ridicule avant que les terroristes ne continuent à nous ridiculiser.

DE L’INEFFICACITE DE L’ETAT D’URGENCE

Les premiers effets commencent déjà à corroborer ce qui a été étalé dans cet exposé. Faute de loi anti-terrorisme qui criminalise l’idéologie jihadiste de Daech, les forces de l’ordre se voient contraints de procéder à la fermeture des mosquées sans pour autant arrêter les jihadistes qui les occupaient. Résultat des courses, les Imams de Daech font leurs prêches dans les rues. Mieux encore, les fidèles d’une mosquée qui a été fermée à Sbeitla l’ont rouvert le lendemain. Courir jusqu’à l’épuisement totale de toutes nos ressources, c’est ce que propose l’état d’urgence aux forces armées et aux citoyens isolés. Alors que les mesures de base en matière de sécurisation des zones sensibles et des quartiers chauds ne sont pas appliquées, nos policiers s’essoufflent dans une course poursuite aveugle et vaine.

A titre d’exemple, il n’existe sur tout le territoire tunisien aucun barrage qui procède à la fouille automatique et méthodique de tous les véhicules sans distinction. Plusieurs d’entre nous ont eu l’expérience de parcourir plusieurs centaines de kilomètres sans être arrêtés par quiconque qui représente l’autorité. Que reste-il à cet état d’urgence ? Faire appel à l’armée afin de l’introduire dans des combats urbains qu’elle ne maîtrise pas et dans une guerre asymétrique face à laquelle elle peine déjà à y venir à bout sur les montagnes ?
Il ne s’agit donc pas d’être pour ou contre l’instauration de l’état d’urgence comme le hurle la plupart des faux intellectuels de service comme des stadiers au milieu d’un public de foot, mais plutôt de recentrer les débats sur l’urgence tout court.

Seif Ben Kheder


           

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