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Robert Charvin : Lorsque les Occidentaux applaudissent à un évènement...c'est qu'il n'est pas favorable à son peuple" !


12 Novembre 2012

Interview explosive qui a été initialement publiée par nos confrères d’Espace Manager, le 03/07/2012. Robert Charvin s’interrogeait si en Tunisie, « les jasmins ne sont pas déjà fanés » et affirmait que le droit international est dans un coma profond. Selon lui, le printemps arabe traduit le compromis historique entre les Etats-Unis et l’islam politique. C'est-à-dire entre l'impérialisme et l'islamisme.


Robert Charvin : Lorsque les Occidentaux applaudissent à un évènement...c'est qu'il n'est pas favorable à son peuple" !
Présentation de l'auteur
Robert Charvin est un ancien avocat, professeur émérite de Nice et Doyen Honoraire de la Faculté de Droit. Communiste et ancien conseiller général des Alpes-Maritimes, Robert Charvin est très connu pour son engagement dans différentes ONG en faveur du Tiers-monde. Il a été dans toutes les causes moralement nobles et juridiquement légitimes : La Palestine, l’Algérie, l’Irak, la Libye sous embargo, le Venezuela, Cuba, différents pays d’Afrique noire ainsi que la question de la réunification de la Corée. Il est l’auteur d’une vingtaine de livres de référence, notamment «Justice et politique», éd. LGDJ, 1968 ; «Les relations internationales des Etats socialistes», éd.PUF, 1981 ; «Droits de l’homme et libertés de la personne», éd. Litec, 1994 ; «L’Investissement international et le droit au développement», éd. L’Harmattan, 2002 ; «Vers la post-démocratie», éd. Le Temps des Cerises, 2006. Nous l’interrogeons en sa qualité de membre du Comité de défense des réfugiés libyens.

A la suite de l’affaire Baghdadi Mahmoudi, son avocat Marcel Ceccaldi a déclaré à l’AFP qu’ «il s’agit d’une extradition vers un Etat voyou de la part d’un gouvernement qui a des pratiques de voyous». Qu’en pensez-vous ?

Je comprends l'exaspération de Maître Ceccaldi. Mais, personnellement,je suis réticent lorsqu'on catégorise sans nuances les régimes politiques du Sud. On oublie trop souvent en Europe et aux États-Unis nos propres responsabilités qui sont fortes dans les relations internationales.
Lorsque les puissances occidentales ont leurs intérêts directement en jeu, elles s'ingèrent sans scrupules dans les affaires intérieures des pays plus faibles pour les «guider» sur le «bon chemin» ! Elles n'hésitent pas à donner des leçons de «morale» au monde entier et à s'autoproclamer défenseurs exclusifs des droits de l'homme. Lorsque leurs intérêts ne sont pas concernés, elles laissent faire et vont jusqu'à «couvrir», s'il s'agit d'un allié, toutes les violations de légalité et les pires atteintes aux libertés. On le constate tous les jours vis-à-vis d'Israël qui depuis un demi-siècle tend à liquider le peuple palestinien.

Dans l'affaire Baghdadi, diverses autorités saisies (l'Ambassade de France à Tunis où j'ai déposé moi-même un courrier, certains sénateurs contactés, etc.) n'ont pas cru devoir prendre en compte et faire suivre la demande d'asile. La France des droits de l'homme (qui était aussi celle de Sarkozy) est restée aveugle et muette. Celle de la social-démocratie n'a pas fait mieux, bien que le pays où le Dr Baghdadi a été «expédié» ne présente pas de garantie pour un procès équitable.
En fait, toutes les instances responsables (y compris tunisiennes évidemment) semblent avoir fait preuve d'une inertie plus ou moins délibérée pour se débarrasser d'un problème : le Dr Baghdadi a sûrement beaucoup à dire sur ce que veulent «oublier» la France, la Grande Bretagne, les États-Unis. L'Occident n'apprécie pas qu'on puisse le juger à son tour !

Vous êtes professeur de droit, avocat et ancien Doyen de l’Université de Nice, quel est votre lecture de ce dossier, du début de l’arrestation de M. Baghdadi jusqu’à son extradition récente ?
 
Je ne cesse de combattre en France depuis quarante ans les tares du système judiciaire français. Mais je suis toujours très réticent à porter des jugements sur des réalités étrangères que je connais moins. Mais je ne pense pas porter atteinte à la souveraineté de l’État tunisien en constatant, en tant que juriste, les faiblesses de certains avocats, et quelques anomalies dans le fonctionnement de la justice.

Je rappelle que le Dr Baghdadi, poursuivi pour «entrée illégale sur le territoire tunisien», et incarcéré à ce titre durant de longs mois, a été relaxé de ce fait mais maintenu (sans cause) en détention ! A la différence de centaines de milliers d'autres Libyens réfugiés sur le territoire tunisien, il était clairement un enjeu pour les nouvelles relations tuniso-libyennes. Les conditions étaient donc créées pour que, selon les opportunités, il puisse être livré (ou pas) au pays voisin qui, quelle que soit sa désorganisation et la confusion qui y règne (les représentants de la Cour Pénale Internationale y ont même été arrêtés et incarcérés!), représente un intérêt important (pays d'immigration tunisienne, pétrole, consommation de biens tunisiens, etc.).
Des défenseurs, plus ou moins compétents, se sont succédé dans la confusion. La justice s'est contredite. Le pouvoir politique a «flotté». Mais, il est indéniable qu'un tel traitement d'une affaire aussi significative peut être la source d'un discrédit international grave. Les jasmins sont-ils déjà fanés ?
 
Le président provisoire Moncef Marzouki affirme qu’il n’a pas signé l’acte d’extradition, mais certains observateurs tunisiens pensent que le conflit entre Hammadi Jebali et Moncef Marzouki n’est qu’un leurre. Quel est votre sentiment ?

J'ai immédiatement accepté de faire partie du Comité de solidarité avec les centaines de milliers de réfugiés libyens, présidé par Maître Bechir Essid, ancien Bâtonnier (qui a déjà été menacé dans son intégrité physique), pour une première raison majeure :
La France sarkozienne est largement responsable de la guerre de huit mois qui s'est produite en Libye, source de multiples victimes et de destructions. Avec l'OTAN, la France s'est autorisée à favoriser toutes les ingérences et à recourir à la force armée contre un pays qui ne mettait pas en cause ses intérêts et hors de toute légitime défense. La couverture onusienne a été extorquée : la résolution 1973 du Conseil de Sécurité a été outrageusement violée par une interprétation strictement politique. Être solidaire des victimes dont mon pays est responsable est pour moi une réaction élémentaire !

En second lieu, je suis juriste et je m'indigne qu'au nom d'une pseudo «morale» (proche de celle du XIX° siècle), les puissances occidentales s'octroient tous les droits dans le monde, déstabilisent les États, sont incapables ensuite de leur permettre de se réorganiser, et placent le droit international dans un coma profond !
 
Y a-t-il encore un moyen juridique international pour sauver Baghdadi Mahmoudi de tortures probables et lui garantir un procès équitable ?

Avec un collectif de juristes tunisiens, nous avions saisi, il y a plusieurs mois, le Président Marzouki, qui a connu l'exil en France, et qui a été un actif militant des droits de l'homme, pour attirer son attention sur le cas du Dr Baghdadi, en le priant de ne pas prendre les mesures (qui sont de sa compétence) permettant son extradition. Aucune réponse ne nous est parvenue. Je ne connais pas la nature des relations entre la Présidence et le gouvernement et je ne peux savoir s'il y a eu conflit ou s'il s'agit, comme vous le dites, «d'un leurre».... Par contre, je crois savoir que, pour les Musulmans, le droit d'asile est un droit sacré ! L'Islam est-il ainsi instrumentalisé au gré des problèmes qui se posent à ceux qui en font une arme politique ?

En droit, un acte illicite est nul, ce qui est le cas de l'extradition du Dr Baghdadi. Mais je n'ai pas d'illusion sur ce point. La Cour Pénale Internationale, qui a compétence pour se substituer à la justice d'un État lorsqu'elle n'est pas fiable, est fondée à revendiquer le transfert du Dr Baghdadi à La Haye. Mais on sait que cette même juridiction rencontre des obstacles majeurs pour statuer sur le sort du fils de M. Kadhafi, actuellement détenu en Libye dans des conditions incertaines.
Aux côtés des avocats qui tenteront de lui assurer une défense équitable, où qu'il soit jugé, il y a l'opinion internationale. La nouvelle Libye a besoin d'être perçue par la communauté internationale comme un État de droit responsable. De plus, elle sait parfaitement que les ministres en Libye étaient plus des responsables administratifs que des dirigeants politiques : les partisans du nouveau régime l'ont eux-mêmes affirmé en dénonçant la dictature personnelle de Kadhafi et de son clan ! La condamnation arbitraire du Dr Baghdadi manifesterait d'une lourde contradiction dans le discours officiel et retirerait des arguments à ceux qui veulent restaurer le crédit international de la Libye.
Il faut aussi prendre en considération le million et demi de Libyens réfugiés à l'étranger, placés en état d'insécurité, par diverses dénonciations et commandos circulant dans les pays d'accueil. Quelle réconciliation possible si le Dr Baghdadi était condamné sans esprit de justice et si les réfugiés libyens continuaient à être menacés ?
 
Votre opinion sur le «printemps arabe» n’est pas celle de tout le monde, et c’est le moins qu’on puisse dire. Sur quoi vous basez-vous pour dire que ces révolutions ne sont que des conjurations téléguidées par certaines puissances occidentales pour déstabiliser des régimes «laïcs» et nationalistes et installer à leur place les islamistes ?

Je me base d’abord sur ma propre expérience politique et sur ma connaissance des relations internationales. Des «révolutions» suscitées par les Services américains, j’en ai bien connu dans ma vie, de l’Amérique Latine jusqu’aux anciens pays de l’URSS. J’ai également lu l’ouvrage de votre compatriote Mezri Haddad, "La face cachée de la révolution tunisienne". Je l’ai trouvé tout à fait par hasard dans une librairie à Tunis lors d’un voyage que j’ai effectué dans le cadre de l’affaire Baghdadi. Ce livre est impressionnant à tout point de vue. Cet ancien ambassadeur à l’UNESCO est le premier à avoir compris les enjeux géopolitiques du « printemps arabe » et à avoir courageusement dénoncé ce retour en force de l’impérialisme et du néocolonialisme.
 
Ces «révolutions» arabes sont avant tout des soulèvements sous influence. Il n'y a pas de «réveil» des peuples arabes : ils n'étaient pas plus «endormis» que les autres peuples ! Les mouvements de libération nationale, le nassérisme, les différentes révoltes populaires, dans les années soixante-dix et quatre-vingt en Tunisie, par exemple, n'ont jamais cessé. Cette idée d' «endormissement» et de «réveil» est de nature néo-coloniale !

Ce qui est nouveau, c'est l'appui ambigu qu'ont trouvé des mouvements populaires légitimes (tous les peuples ont à se plaindre – à des degrés divers seulement – des injustices et des inégalités imposées par leur État), auprès de l'Occident, particulièrement auprès des États-Unis !

La complicité de l'armée égyptienne, par exemple, négociée avec les États-Unis qui la financent, antérieurement au soulèvement de la Place Tahir, le «feu vert» américain donné pour l'élimination des vieux dirigeants usés par le pouvoir et leur remplacement sans dommage pour les intérêts occidentaux, le compromis historique des États-Unis avec l'Islam politique, voilà les facteurs nouveaux qui expliquent la victoire de ces «révolutions» étrangement applaudies par toutes les puissances occidentales, et même par Bernard Henri- Lévy, sans parler du soutien des étranges «démocraties» que sont le Qatar et les Monarchies du Golfe ! C’est Monsieur Mezri Haddad qui a eu cette formule décapante et qui dénote cette surprenante alliance entre islamisme et impérialisme : «Allah est grand et BHL est son prophète».

Les vraies révolutionnaires, qui ont un authentique projet de changement radical des structures politiques et économiques, n'ont rien gagné ! On connaît les manœuvres destinées à éliminer de la course présidentielle égyptienne le candidat progressiste arrivé en troisième position ! Si ce n'est que les peuples arabes aujourd'hui ont moins de crainte qu'hier, ce qui peut être porteur pour l'avenir.

Il faut savoir que lorsque les Occidentaux applaudissent à un événement se produisant dans un État du Sud, c'est qu'il n'est pas favorable à son peuple ! Le monde occidental n'a pour boussole idéologique que la calculette : cet esprit de lucre et de rentabilité matérielle à court terme est le seul qui l'anime. S'en remettre à lui, comme d'ailleurs l'a fait Kadhafi dans la dernière période de son régime, c'est se condamner à moyen ou long terme !

http://www.tunisie-secret.com


 
 


           

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