Habib Bourguiba, le bâtisseur d’une République détruite


3 Aout 2016

Il y a exactement 113 ans, naissait à Monastir, le 3 août 1903, un géni politique qui a vaillamment mené la lutte pour l’indépendance et posé les premiers jalons d’une République Souveraine, séculière et à l’avant-garde du progressisme. Soixante années après, il ne reste plus rien de cette République et encore moins des valeurs patriotiques et modernistes dont elle était porteuse.


Il avait consacré sa vie entière et toute son énergie pour faire d’une « poussière d’individus » une Nation, et d’une suzeraineté ottomane sous le joug du colonialisme français, un pays moderne, fier de sa longue Histoire et jaloux de sa Souveraineté durement arrachée du colon venu de l’autre côté de la Méditerranée pour nous « civiliser ».

Alors qu’elle se justifiait historiquement, sociologiquement et anthropologiquement, l’expression « poussières d’individus » lui a été longuement reprochée par des intellectuels incultes et par des politicards gauchistes ou islamistes qui avaient fait de Bourguiba leur cible préférée et du bourguibisme, l’ennemi mortel.

Contrairement à ce que pensaient les intellectuels incultes, « Poussières d’individus », n’était pas une expression inventée par Bourguiba. Il l’avait emprunté à Gustave le Bon, dans son livre « La psychologie des foules » que ce grand esprit a publiée en 1895 et qui est devenu plus tard le livre de chevet notamment du général De Gaulle, de Mussolini, de Staline et de Churchill. Gustave Le Bon appliquait cette expression à tous les peuples que l’Etat transforme en Nation et qui peuvent régresser au stade présocial lorsque l’Etat disparait, soit par les guerres, soit par les révolutions.

C’est d’ailleurs ce qui est arrivé aux Français en 1939 et aux Tunisiens en janvier 2011. C’est pour dire que Bourguiba avait tout à fait raison de traiter les 2 millions de Tunisiens à l’époque coloniale de « poussière d’individus », et que l’Histoire lui a parfaitement donné raison lorsqu’on observe ce que sont devenus les Tunisiens après la « révolution » de la Brouette, provoquée par l'Oncle Sam et sponsorisée par le Qatar.

En rendant aujourd’hui hommage au plus illustre des Tunisiens, il est inutile de rappeler toutes ses réalisations. De l’acquisition de l’indépendance, tant décriée par l’ambitieux et envieux Salah Ben Youssef, à l’émancipation de la femme, en passant par la généralisation de l’enseignement et de la santé publiques, la nationalisation des terres agricoles, le combat contre le sous-développement…Tout cela est bien connu. Certains lui reprochent d’avoir manqué ce grand rendez-vous avec la démocratie. Etait-ce une erreur ou un choix délibéré et basé sur une connaissance profonde de la nature et de la psychologie du Tunisien ?

La réponse de Bourguiba est sans appel. Il l’a exprimée dans son discours à Bucarest, le 12 juillet 1968 : « La démocratie est le stade suprême de l’évolution d’une société. Elle n’est pas donnée au départ mais vient tout naturellement lorsque les conditions qu’elle requiert sont réunies. Ces conditions sont à mon sens un Etat moderne qui fonctionne et qui est respecté par la population parce qu’il est respectable, une nation qui forme déjà un ensemble cohérent et solidaire, un peuple qui atteint un niveau d’éducation de vie tel qu’il puisse recevoir la démocratie non pas comme un luxe dont on ne sait que faire, ou un jouet que l’on casse, mais comme un bien précieux, signe de maturité et moteur de progrès ».

Tout y est dit, tout est clair et tout est confirmé par les six années qui se sont écoulées depuis le 14 janvier 2011. Le peuple qui a voté pour les Frères musulmans, qui est devenu plus « pieux » et moins patriote, plus trafiquant et débrouillard que travailleur, plus égoïste que solidaire, plus exportateur de terroristes que de main d’œuvre qualifiée ou de cadres…méritait-il cette démocratie à la Freedom House et à la John McCain ?  
  
Pour le Tunisien, gouvernants comme gouvernés, la Souveraineté n’a plus aucun sens et les rares personnes qui osent encore l’invoquer sont considérés comme des passéistes et des rétrogrades. Idem pour la sociabilité qui sera certainement la chose la plus difficile à rétablir lorsque la parenthèse des traîtres et des mercenaires sera refermée. Il faudrait au moins une décennie, peut-être davantage avant de mettre un terme à l’anarchie, à l’incivilité, au banditisme, à l’opportunisme, à l’individualisme et au pillage de l’Etat par toutes les strates sociales, des plus démunis aux plus fortunés.

Il faudrait compter autant d’années pour rétablir la sécurité et la paix sociale, assainir la situation économique et revenir à la doctrine bourguibienne en matière de relations internationales. Les six années des gouvernements successifs, tous sans exception, ont manifestement détruit tous les acquis de l’ère Bourguiba (1956-1987) et de l’ère Ben Ali (1987-2011).

En attendant le réveil patriotique et le redressement du pays, Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi viennent de porter à la chefferie du gouvernement un jeune tiré du Makzen néo-beylical dont les atouts majeurs ne sont ni sa compétence, ni son expérience politique, ni son passé de militant, mais ses liens de familles avec le janissaire de Tunisie, son allégeance au gourou de la secte des Frères musulmans, sa platitude à l’égard des mafieux qui ont mis la main sur l’économie du pays et, surtout ses cinq années passées au service de l’ambassade des Etats-Unis en Tunisie.

En ce 3 août 2016, malgré la déchéance d’un peuple, la trahison d’une « élite » et la décrépitude d’un Etat, nous célébrons encore la naissance de l’enfant prodigue de la Tunisie, Habib Bourguiba, dont le pire ennemi est aujourd’hui le servile serviteur de Ghannouchi, à savoir l’avocat d’affaires, Béji Caïd Essebsi.

Karim Zmerli