Kamel Jendoubi le Bac moins 2 qui prétendait réformer l’Etat tunisien


4 Septembre 2016

Dégagé du gouvernement Youssef Chahed malgré le forcing de son mentor Kamel Eltaïef, Kamel Jendoubi a publié sur sa page facebook un article pensé et écrit par son frère en maçonnerie, le français J.P.T, dans lequel il a étalé son bilan à la tête du ministère des Relations avec les Instances constitutionnelles, la Société civile et des droits de l’homme. Avec l’insolence des incultes, il a évoqué son action dans la « réforme de l’Etat » ! Un Bac moins 2 qui prétendait réformer un Etat fondé par un Bac plus 4 (Bourguiba) et consolidé par des Bac plus 8, à savoir tous les ministres et hauts cadres qui se sont relayés de 1987 à 2011 ! Immigré en France à la fin des années 70, Kamel Jendoubi a toujours eu le bon truc pour s’en tirer à moindre frais. Faute de travailler, il a crée une association de défense des travailleurs tunisiens en France qui lui a permis de gagner sa vie à la sueur de son front. Au service du RCD de 1987 à 1995, il a changé de « carrière » en ouvrant une énième boutique de droits de l’homme, pour se mettre au service alternatif de Khémaïes Chammari, Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaafar et Rached Ghannouchi. Parachuté président de l’ISIE, qui a permis aux Frères musulmans de prendre le pouvoir, il a été récompensé par des portefeuilles ministériels…et quelques avantages en nature pour se construire une belle villa sur les hauteurs de Cité Ennasr à Tunis, sans compter son patrimoine immobilier en France, sa patrie. Nous reproduisons son testament politique afin que les lecteurs touchent du doigt le génie polytechnicien de ce grand ministre qui a révolutionné l’Etat-mafieux et marqué l’histoire néocoloniale.


Février 1992, Kamel Jendoubi en pleine action militante au siège du RCD à Paris (Botzaris), qui a été pillé en 2011 par les islamistes et les gauchistes, avec l'aide de certains Rcédistes.
Le temps n'est pas aux états d'âme. La situation du pays est telle qu'elle ne laisse même pas de place au regret, et encore moins à l'amertume, au regard des efforts consentis et interrompus… Ainsi va la politique. Et puis, les bilans se font à froid, aux moments opportuns même s’il est problématique d’en faire un pour une action publique de si courte durée.

Voici donc quelques notations rapides. Une sorte de bouteille à la mer, ou, qui sait, des indications utiles d'une manière ou d'une autre pour l'intelligence de quelques enjeux de notre post-révolution tels que j'ai pu les approcher lors de ma courte expérience ministérielle.

Le département que j'ai eu à diriger est né d'une ambition, sans doute démesurée : la réforme de l'État. Un travail certes titanesque pour un seul ministère, voire pour un seul gouvernement, on le savait. C'était, disons, la philosophie de l'action que j'ai voulu entreprendre.

Les yeux rivés sur cet horizon, a priori atteignable mais qui s'éloigne à mesure qu'on s'en approche, je me suis attelé à mon travail.
Il fallait commencer par donner une consistance réaliste au mot d'ordre qui pouvait apparaître quelque peu grandiloquent, de « réforme de l'État », et revoir à la baisse mes rêves de vieux militant des droits de l’Homme et des libertés. La redoutable « culture de gouvernement » est une école de patience, de modestie, et parfois d’ingestion de couleuvres soit dit en passant… La marge était étroite mais réelle. 

Nous avons donc - parce que l'effort était collectif - articulé nos projets sous la forme d'un triptyque.
• Donner corps aux institutions prévues par la Constitution par la mise en place d'un dispositif progressif assurant l'équilibre des pouvoirs, et prévoyant les garde-fous de toute démocratie que sont les contre-pouvoirs.

L’enjeu ici est le fonctionnement même de l’État : un État de droit fidèle à sa vocation sociale ; à même de retrouver une autorité gravement entamée et de la rétablir pour combattre la corruption qui gangrène le tissu social.

• Impliquer la société civile, et le mouvement associatif qui, dans ce processus, en est l’épine dorsale. Une société civile créancière de droits réels mais surtout actrice et gardienne des réformes envisagées. La société civile n’est pas la société, elle est son filet protecteur et l’option pour une démocratie participative, gravée dans le marbre constitutionnel, accorde aux acteurs civils une place de choix.
 
L’enjeu ici est d’impulser des relations nouvelles entre l’État et ces acteurs, d’organiser la confrontation comme les terrains d’entente entre les deux parties pour le bien du pays. Doter la société civile des moyens de défendre la société, c’est une des missions de l’État démocratique. Je m’enorgueillis de penser qu’une partie de cette mission a été confiée à mon département.

• Ce double souci est adossé au référentiel universel des droits de l'Homme prévu par notre Constitution et par les textes internationaux qui engagent l’État. 

L’enjeu ici est de mettre la pratique institutionnelle au diapason des principes inscrits dans la Constitution, et plus généralement d’insérer notre pays irréversiblement dans l’espace démocratique transnational qui transcende les puissances étatiques, grandes et petites, et qui est régi par le droit international. 

Ces trois piliers apparaissent dans le long libellé du ministère. Il s’agissait de traduire ces projets en programmes, ensuite en dispositifs juridiques, puis en pratiques quotidiennes : une tâche ardue et de longue haleine).

Le ministère tel qu’il sera légué à la nouvelle équipe est un vaste chantier, ouvert depuis le début de l’année, date de sa création après le remaniement ministériel de janvier 2016. Un grand paysage de briques et de ciment ; des travaux dans toutes les directions : projets de loi adoptés par le gouvernement et en souffrance dans les rayonnages de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), notamment le projet de loi-cadre relatif aux instances constitutionnelles indépendantes et la loi organique relative à l’Instance des droits de l’Homme; d’autres projets de loi relatifs à chacune des instances constitutionnelles attendant d’être discutés en Conseil des ministres (bonne gouvernance et lutte contre la corruption, développement durable et les droits des générations futures, communication audio-visuelle)… 

Des documents, des rapports (en particulier ayant trait aux correctifs à introduire dans les décrets-lois relatifs aux associations ou aux partis…), des commissions, des sous-commissions, des consultations, des rencontres et des tournées à l’intérieur du pays ont été réalisées en aval de tous les travaux mettant en présence les connaissances des experts et l’expérience des militants associatifs.
Je prétends, au nom de toute l’équipe, que nous avons ébauché une méthode silencieuse dont l’efficacité a été éprouvée. Je me contenterais de quelques exemples à titre indicatif.

Au printemps 2015, le gouvernement ayant décidé de prendre à bras-le-corps le dossier du Bassin minier, il nous a échu la mission de rétablir la liaison avec les acteurs de la société civile et, en coordination avec les décideurs locaux et nationaux, de renouer un dialogue jusque-là empêché par les malentendus, le mépris ou le laxisme. Nous avons réussi partiellement à rétablir une confiance relative, des emplois ont été créés, la production, bloquée depuis des années a redémarré, du moins pour un temps….

Autre cas, la cellule de communication de crise mise en place en juin 2015 après l’attentat sanglant de Sousse. Là encore, la feuille de route était de « communiquer » autrement : par un discours qui mette la sécurité au service de la démocratie et par l’adresse continuelle aux acteurs de la société civile, ceux des médias en l’occurrence.

L’expérience de la Plateforme de contre-discours appelée à se déployer sur les réseaux sociaux et destinée aux publics exposés à la « radicalisation ». Une expérience participative qui doit nous mener à prendre le problème à la base et à établir une relation durable de confiance avec les acteurs de terrain, en particulier les jeunes. Une synthèse et des propositions de redéploiement de cette plateforme étaient envisagées. 

La mise en place d’un mécanisme permanent et innovant de reporting (comité national de coordination , préparation, présentation des rapports et suivi des recommandations en matière des droits de l’homme) impliquant l’ensemble des ministères et permettant à notre pays de retrouver dignement sa place sur l’arène internationale en conformité avec ses obligations internationales relatives aux droits de l’homme. 

Sans parler de la redynamisation de l’instance nationale de lutte contre la corruption dotée de moyens conséquents, de la relance de la HAICA, bloquée par la démission de plusieurs de ses membres, comme de l’installation de l’instance nationale de la prévention contre la torture, un mécanisme de protection qui distingue la Tunisie dans le monde arabe. 

A défaut d’être toujours pérennes, ces quelques exemples constituent autant de balises, des expériences participatives concrètes appelées à s’étendre et à être affinées et rééditées. 

Tout le travail de l’équipe ministérielle était un « work in progress » dont les résultats a priori imminents, se retrouvent constamment différés… 

La faute à personne ou à tout le monde, sans doute au fonctionnement labyrinthique des usines à gaz qui nous servent d’administrations, mais aussi aux lourdeurs de l’ARP. Que l’on me pardonne cette saillie, mais le train de limace des séances de l’hémicycle est de nature à user la patience des plus placides. 

Des erreurs de l’équipe, dont j’assume en premier la responsabilité, il y en a eu pour sûr, une gestion approximative du temps, une visibilité à minima, certainement…. Je me suis permis ici d’esquisser un plaidoyer dont la seule finalité est de préserver des acquis, de défendre un petit patrimoine que nous léguons en héritage à nos successeurs.
 
Je voudrais enfin dire deux mots des difficultés que nous avons sans doute sous-estimées et qui ont parfois hypothéqué la débauche d’efforts consentie par mon équipe, et au-delà. Elles sont de deux ordres :

Le premier est d’ordre technique : initialement rattaché à la présidence du gouvernement, le ministère qui a été le mien était peu et tardivement pourvu en moyens humains en l’absence d’un budget propre, prévu pour enfin être effectif en 2017. Le chef du gouvernement était animé des meilleures dispositions, mais l’intendance ne suivait pas toujours. Il faudra changer cette manière de voir les réformes institutionnelles comme le parent pauvre du développement. La démocratie, avec son attribut participatif, est toujours urgente,… Comme l’emploi… Comme la sécurité. Tout cela procède du même impératif : le bien commun.

Le second est culturel, j’allais dire subliminal : comment faire admettre et avancer l’idée de réforme dans un milieu travaillé depuis si longtemps par le démon impassible de la routine, des conservatismes et du corporatisme. Comment instiller du dynamisme dans ce monstre à sang froid qu’est l’administration minée par la gestionnite carriériste léguée par le régime de Ben Ali ? Une véritable gageure. Il y a pire : les oppositions politiques qui transparaissent derrière des hypocrisies complaisantes ou le désenchantement diffus qui perce ici et là : la Révolution, on a déjà donné ! La sécurité et le pain avant tout, les droits de l’Homme ça peut attendre !
 
Et pourtant, il faut continuer à y croire. On n’a pas le choix. Il y va du devenir de notre post-révolution.
Notre pays est engagé dans un processus séculaire de modernisation. L’État en Tunisie a toujours joué le rôle d’initiateur et de garant de la pérennité de ce processus, malgré les à-coups, les dérives autoritaires et dictatoriales et les tentations régressives. Cette modernisation suppose un État disposant des moyens de son autorité pour protéger le pays et défendre la société. Soustraite des mains des oligarques, toujours à l’affût, pour être mise à la disposition du peuple entier, cette autorité a pour nom Démocratie.
Notre démocratie est encore balbutiante. Elle doit se montrer assez forte pour déjouer les plans des prédateurs, assez sereine pour tenir tête aux nostalgiques de l’ordre, de quelque masque qu’il s’affuble : moral ou sécuritaire. Il faut tenir le cap.

Il me reste à formuler le souhait que le travail accompli serve et que le témoin soit repris par l’équipe qui va nous succéder. 
Bonne route Mehdi.

Kamel Jendoubi

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