La visite de Bachar en Tunisie avait précipité la chute de Ben Ali ?


11 Mars 2016

Exclusivité de TS : en juin 2010, Ben Ali a refusé de recevoir l’ambassadeur des Etats-Unis, Gordon Gray, qui voulait lui réitérer le mécontentement de Washington au sujet du projet de visite officielle de Bachar Al-Assad en Tunisie. Malgré les fortes pressions dissuasives des Américains, Ben Ali a accueilli le président syrien en juillet 2010, soit cinq mois avant la «révolution du jasmin » et le début du printemps dit arabe !


Le président syrien Bachar Al-Assad à son arrivée à Tunis, le 12 juillet 2010.
Le 12 juillet 2010, invités par Ben Ali, le Président syrien Bachar Al-Assad et son épouse Asma Al-Assad, avaient entamé  une visite officielle de deux jours en Tunisie. Ce n’était pas la première fois que Bachar Al-Assad visitait notre pays. Sa première visite remontait à 2001, soit quelques mois après son accession à la présidence syrienne en juin 2000. La seconde visite, c’était en mai 2004, l’année où George W.Bush imposait ses premières sanctions économiques contre la Syrie !

Du binôme Bourguiba-Hafez Al-Assad au couple Bachar-Ben Ali

Déjà sous la présidence de Bourguiba en Tunisie et la gouvernance de Hafez Al-Assad en Syrie, malgré quelques mini-crises occasionnées par l’activisme du Bâath en Tunisie, les relations tuniso-syriennes étaient devenues excellentes. En 1974, au Sommet arabe de Rabat, Bourguiba avait dit à Hafez Al-Assad, « Toi, tu n’es pas comme les autres Arabes » ! Déjà en octobre 1973, au moment du conflit israélo-arabe, Bourguiba avait assuré Hafez Al-Assad et Sadate de son « plein soutien diplomatique et militaire, malgré nos moyens modestes ». Plus tard, il avait été l’artisan de la réconciliation entre entre Hafez Al-Assad et le roi Hussein de Jordanie.

Avec le couple Bachar Al-Assad-Ben Ali, les relations syro-tunisiennes avaient pris un tournant économique et stratégique sans précédant. Avant la visite d’Assad en juillet 2010, les deux chefs d’Etat venaient de se rencontrer en Libye, en marge  du Sommet de la Ligue des Etats arabes qui s’est tenu à Syrte les 27 et 28 mars 2010. Selon l’Agence de presse syrienne SANA, « les discussions ont souligné l'importance d'établir une coopération syro-tunisienne et arabe forte et efficace pour répondre aux défis qui menacent la région ». Déjà à l’époque !

Une visite hautement stratégique

La visite de Bachar Al-Assad à Tunis a été précédée par le déplacement à Tunis, en mai 2010, du président du Conseil des ministres de la République arabe syrienne, Mohamed Neji El-Otri. Du 12 au 16 juin de la même année, une mission d’hommes d’affaires tunisiens s’était rendue dans la capitale syrienne. Organisée par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Tunis (CCIT), cette mission était marquée par la tenue de séances de contacts individuels regroupant les hommes d’affaires et les industriels tunisiens et leurs homologues syriens.

Au cours du déplacement de Mohamed Neji El-Otri à Tunis, sept nouveaux accords ont été signés, dont seulement six ont été rendu public : un programme exécutif de travail entre Export Promotion Center (CEPEX) en Tunisie et le Conseil syrien pour le développement et la commercialisation des exportations syriennes, un protocole de coopération entre le port de Tartous en Syrie et le port de Sfax en Tunisie, un plan de coopération sur l'enseignement supérieur, un mémorandum d'entente sur le développement des micro et moyennes entreprises, et un accord-cadre entre la Banque centrale de Syrie et la Banque centrale de Tunisie. Le septième accord resté confidentiel concernait la « coopération inclusive militaire » entre la Syrie et la Tunisie.

La coopération syro-tunisienne exaspérait les Etats-Unis et Israël

A la veille de l’arrivée à Tunis du couple présidentiel syrien, dans une déclaration à l'agence syrienne SANA, notre ambassadeur à Damas, Mohammad Aouitia avait insisté sur « le soutien de la Tunisie à la récupération de la totalité du Golan syrien occupé », ajoutant que « la Syrie et la Tunisie ont les mêmes intérêts dans l'appui aux causes arabes, notamment la cause palestinienne et la réactivation de l'action arabe commune ». Il avait souligné « la coordination et la consultation en permanence entre les deux pays à l'égard de l'ensemble des causes arabe, régionale et internationale » (1).

Mohammad Aouitia avait rappelé que les deux pays sont déjà reliés par plus de 150 accords bilatéraux, ajoutant que Tunis et Damas vont « accroître la coopération et les échanges commerciaux et l'activation des accords signés pour inclure tous les domaines de la coopération ».

Les médias israéliens ne voyaient évidemment pas cette visite de la même façon. Selon certains, « La Syrie a toujours été choyée par la Tunisie, qui a largement ignoré les accusations de terrorisme portées par Washington à l’encontre du régime baasiste… La question qui se pose ici ; on ne sait dans quel intérêt de voir Bachar el-Assad en Tunisie ? Que va apporter cet homme à un petit pays qui lutte inlassablement contre le terrorisme ?.... D’autant que l’amour tuniso-syrien tombe au moment où l’opinion publique internationale approuve et applaudit la position ferme et sans concession du gouvernement américain contre Damas. » (2).

Accumulation des griefs américains contre Ben Ali

On rappelle d’abord que Bachar Al-Assad a visité la Tunisie en mai 2004, soit six mois avant la réélection de George W.Bush, qui avait inauguré son second mandat présidentiel par l’imposition de sanctions économiques contre la Syrie ! Raison invoquée, le soutien de Damas aux « groupes terroristes », c’est-à-dire au mouvement du Hezbollah et au Hamas. Ces sanctions économiques ont été maintenues et renouvelées par Barack Obama. On reprochait aussi à la Syrie d'envenimer la situation au Liban. 
 
Ainsi, après son soutien indéfectible pour Saddam Hussein durant toute la période du blocus économique contre l’Irak, pour les Américains, l'amitié de Ben Ali à l'égard de Bachar Al-Assad était de trop. Ben Ali persistait dans sa coopération avec les "Etats voyous", comme les appelaient les fanatiques néoconservateurs. Mais pour Ben Ali, l’administration américaine et ses caprices, c’était le dernier de ses soucis. Il va continuer dans sa politique étrangère souveraine et résolument pro-arabe.

En dépit des très fortes pressions américaines sur Ben Ali de ne pas se rendre à Damas pour participer au Sommet des Etats arabes, le 29 et 30 mars 2008, ce dernier ira quand même. Les mêmes pressions américaines sur l’ensemble des Etats arabes avaient réussies puisque, sur les 22 pays membres de la Ligue arabe, une dizaine seulement avait été représentés par leurs chefs d’Etat lors de ce Sommet arabe à Damas. A titre comparatif, lors de l’édition 2007 du sommet de la Ligue arabe, qui s’était tenue à Riyad, les 22 chefs d’Etat étaient présents. 

Le ministre des Affaires étrangères syriens, Walid Moallem, avait accusé à l’époque les Etats-Unis de vouloir torpiller la réunion parce qu’elle se tenait en Syrie. Effectivement, selon RFI, « Washington avait appelé les pays arabes à réfléchir avant de prendre le chemin de Damas, les Américains accusent clairement le régime de Bachar al-Assad d’entraver l’élection du futur président libanais » (3).

Accélération du coup d’Etat contre Ben Ali

Venons-en pour terminer à la quasi crise diplomatique entre Tunis et Washington, un mois avant le déplacement du président syrien à Tunis, le 12 juillet 2010. Dès mai 2010, l’ambassadeur américain en Tunisie, Gordon Gray avait transmis aux Affaires étrangères tunisiennes un « message urgent » du Département d’Etat américain indiquant « le souhait de Washington que la visite officielle du président syrien soit reportée ». N’ayant pas reçu de réaction, Gordon Gray demandait alors une audience avec Ben Ali. Celle-ci a été fixée pour le 6 juin 2010, mais deux jours avant, elle a été reportée à une date ultérieure. Le 14 juin 2010, un tuniso-américain assez influent à Washington s’est rendu à Tunis pour rencontrer Ben Ali pour une « affaire sensible ». C’est par un conseiller à la présidence qu’il sera reçu le 16 juin 2010. On imagine le contenu de cette « affaire sensible » !

Finalement, Bachar Al-Assad effectuera sa visite officielle en Tunisie, prévue de deux jours (12 et 13 juillet 2010), mais qui sera prolongée jusqu’au 14 juillet. La suite, vous la connaissez : le 17 décembre 2010, l’ivrogne de Sidi Bouzid s’immole par le feu, les cybers-collabos sont activés, des cellules dormantes islamistes s’attaquent à des postes de police et de gendarmerie, des snipers étrangers tirent sur des manifestants, des mercenaires des Etats-Unis et du Qatar coordonnent leurs actions, Al-Jazeera et France 24 se mobilisent, presse écrite et audiovisuelle occidentale galvanise le "peuple", Facebook s'emballe, l’intox du général « qui a dit non à Ben Ali » fait le tour du monde…. Et le 14 janvier 2011, quelques heures avant de prononcer son ultime discours à la nation en tenue de général, Ben Ali est mis dans un avion pour un voyage sans retour en Arabie Saoudite. La suite est dans le livre mémoire du président tunisien qui a dit Non aux Etats-Unis !

Nebil Ben Yahmed

(1)-  http://www.gnet.tn/revue-de-presse-internationale/bachar-al-assad-et-son-epouse-en-visite-en-tunisie/id-menu-957.html

(2)-  http://identitejuive.com/le-dictateur-syrien-bachar-al-assad-en-tunisie/

(3)-  http://www1.rfi.fr/actufr/articles/099/article_64366.asp

Habib Bourguiba et Hafez Al-Assad.

Zine Al-Abidine Ben Ali reçu à Damas, lors du Sommet des Etats arabes, le 29 et 30 mars 2008.

Le couple présidentiel syrien, reçu à Tunis le 12 juillet 2010.

Le président syrien reçu par le gouverneur de Tunis, Mondher Friji, le 13 juillet 2010.