Pourquoi les Anglo-américains se retournent-ils contre leurs agents islamistes ?


10 Octobre 2013

L’islamo-terroriste libyen qui a été enlevé par les Américains est une vieille connaissance de la CIA et du M16 britannique. Jusqu’en 2010, comme Rached Ghannouchi, Abu Anas al-Libi était un « exilé politique » à Manchester. Dans le cadre de la réconciliation nationale initiée par Seïf al-Islam Kadhafi, il a pu regagner la Libye en décembre 2010. Dès janvier 2011, avec Abdelhakim Belhaj, le frère en combat de BHL, il s’est remis sous le commandement de l’armée britannique dans la guerre coloniale franco-anglo-qatarie, menée contre l’Etat libyen. Pour quelles raisons les forces américaines ont-elles décidées de le kidnapper ?


Ce n’est plus un secret pour personne que, de son début glorieux en Tunisie jusqu’à sa fin lamentable en Syrie, le « printemps arabe » a été une vaste et complexe opération américaine pour déstabiliser les Etats post indépendance et installer les islamistes partout dans le monde arabe. Tout devait se dérouler selon ce plan néocolonialiste, mais le pragmatisme algérien d’une part et la résistance héroïque syrienne d’autre part ont fait avorter cette stratégie machiavélique, qui a reçue le coup de grâce en Egypte, avec le général Abdelfattah al-Sissi, un disciple de Nasser.

C’est la principale raison du changement stratégique américain, qui s’est d’abord traduit par le limogeage des deux criminels, Hamad Ben Khalifa al-Thani et Hamad Ben Jassim, tous les deux accusés par leurs commanditaires américains et anglais d’avoir fait preuve de zèle et de peu de discrétion dans leur soutien aux Frères musulmans et à certaines fractions « modérées » d’Al-Qaïda. Mais il y a deux autres raisons. Primo, la rupture du « pacte de fraternité » entre la première puissance mondiale et l’internationale islamiste, pacte que l’Etat voyou du Qatar n’a pas réussi à imposer à ses mercenaires islamo-terroristes, et dont la rupture s’est manifestée par le viol et le meurtre de l’ambassadeur des USA à Benghazi, ensuite par l’attaque de l’ambassade US à Tunis. Secundo, le rejet des peuples dit du « printemps arabe » de l’islamisme, que certains stratèges et think tank occidentaux ont cru si populaire en Tunisie, en Egypte et en Syrie.

C’est à la lumière de ces événements inattendus qu’il faut lire le changement de la politique américaine, et qu’il faut interpréter le ciblage de certaines figures de l’islamisme terroriste, notamment l’opération lancée par Delta Force contre Nazih Abdelhamid al-Ruqhayi, alias Abu Anas al-Libi, le 6 octobre dernier. Qui est donc ce terroriste islamiste que Barack Obama a décidé de neutraliser ?

C’est en 1995 que ce dangereux djihadiste a rejoint Oussama Ben Laden au Soudan. C’était lors du grand rassemblement de l’Internationale Islamiste auquel Rached Ghannouchi, Anouar Haddam du FIS et Youssef Qaradaoui avaient participé. A la suite d’une tentative d’assassinat du président Hosni Moubarak, Anas al-Libi a trouvé refuge à Doha. En 1996, les services secrets britanniques (à la fois le MI5 et le MI6) financèrent une ramification d’Al-Qaïda pour assassiner le colonel Kadhafi [1 ]. Anas al-Libi servit d’intermédiaire à la transaction et obtint ainsi l’asile politique au Royaume-Uni. Il vécu à Manchester jusqu’à son inculpation, en 2000, aux États-Unis.
 
Le Tribunal du district sud de New York l’accuse en 2000 d’avoir procédé en 1993 au repérage photographique qui aurait permis d’attaquer cinq ans plus tard les ambassades US en Tanzanie et au Kenya (Daar el-Salam et Nairobi), le 7 août 1998, tuant 12 Américains, 214 autres personnes de nationalités différentes et faisant plus de 5 000 blessés. Lorsque le « fichier des suspects les plus recherchés par le FBI » est crée en octobre 2001, Anas al-Libi y figure parmi les premiers et une récompense de 5 millions de dollars est offerte par le FBI pour sa capture. Le 6 juin 2007, Amnesty International affirme qu’il est en réalité détenu dans une prison secrète de la CIA [2 ].
 
Au début de la « révolution du jasmin » (décembre 2010), Abderrahmane Chalgham, représentant de la Libye à l’ONU, annonce qu’Anas al-Libi et sa famille sont de retour dans son pays dans le cadre d’une paix négociée par Seïf al-Islam Kadhafi sous contrôle US. Un mois plus tard (janvier 2011), avec d’autres membres d’Al-Qaïda et sous l’autorité d’Abdelhakim Belhaj [3 ], il participe aux opérations de l’OTAN en Libye aboutissant à la destruction de la Jamahiriya libyenne et au lynchage barbare du colonel Kadhafi. En représailles à la trahison de ce mercenaire, l’un de ses fils a été assassiné en  octobre 2011 par des nationalistes libyens.
 
Selon le secrétariat US à la Défense repris par le New York Times, Abu Anas al-Libi a été enlevé à Tripoli le 6 octobre 2013, puis transféré à bord de l’USS San Antonio, en mer Méditerranée, pour y être « interrogé » [4 ] en dehors de la protection du système pénal US [5 ]. Il pourrait « éventuellement » être remis dans quelques semaines ou mois à la Justice américaine. Selon CNN, l’opération a été lancée avec l’accord des autorités libyennes, qui ont bien évidemment démenties l’information. En réaction à cette opération, le super-agent Abdelhakim Belhaj a ordonné le kidnapping d'Ali Zeidan, celui qui fait office de premier ministre dans cette Libye implosée. Quelques heures après, ses tuteurs à la CIA lui ont ordonné de le relâcher.  
 
L'opération menée contre Anas al-Libi est du même type que celle qui avait visé Ahmed Abdulkadir Warsame, en Somalie, le 19 avril 2011. Une journée avant le raid sur Tripoli et l’arrestation du criminel et mercenaire Anas al-Libi, les forces spéciales américaines ont attaqué une base terroriste en Somalie. Il s’agit de l’organisation Al-Chebab, cette création ex-nihilo des services qataris en Afrique. Cette attaque est intervenue deux semaines après la sanglante prise d’otages du centre commercial Westgate de Nairobi, au Kenya, et qui a été revendiquée par les islamiste « modéré » que le Qatar soutenait et finançait, à savoir Al-Chebab.
 
« Après le refus d'intervenir militairement en Syrie, les deux raids audacieux menés par les forces spéciales américaines en Somalie et en Libye signalent-ils un changement de stratégie de la Maison-Blanche dans la lutte contre le terrorisme? » s’est interrogé Le Figaro. Selon nos confrères français,  Le secrétaire d'État américain, John Kerry, a défendu lundi la capture d'un responsable d'al-Qaida en Libye, estimant qu'elle était «appropriée» et «légale». De son côté, Chuck Hagel, le chef du Pentagone, a prévenu que Washington va «maintenir une pression constante sur les groupes terroristes qui menacent notre peuple et nos intérêts, et, si nécessaire, nous mènerons des opérations directes contre eux en conformité avec nos lois et nos ­valeurs».

En d’autres termes, la Tunisie qui est devenue l’une des principales plaques tournantes du terrorisme islamiste et où le terrorisme est au sommet de l'Etat, ne va pas tarder à connaître ce genre de raid ciblé. C’est d’autant plus probable qu’à tout moment, l’internationale islamiste du crime actuellement stationnée en Libye sous le commandement d’Abdelhakim Belhaj, pourrait lancer une offensive en territoire tunisien. Une opération « Khilafa islamiya », que Rached Ghannouchi côté cour approuvera, et que Ghannouchi Rached côté jardin dénoncera !

Karim Zmerli   

[1 ] « David Shayler : J’ai quitté les services secrets britanniques lorsque le MI6 a décidé de financer des associés d’Oussama Ben Laden  », Réseau Voltaire, 18 novembre 2005.
[2 ] Il figure en 37eme position sur la liste de « USA : Off the Record. U.S. Responsibility for Enforced Disappearances in the “War on Terror”  », Amnesty International, 6 juin 2007.
[3 ] Abdelhakim Belhaj, ex proche collaborateur d’Oussama Ben Laden au sein d’Al-Qaïda, principal agent de l’OTAN lors de la guerre coloniale contre la Libye, de même que contre la Syrie, ami et allié stratégique d’Ennahda en Tunisie, et auteur du double assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.   
[4 ] “U.S. Said to Hold Qaeda Suspect on Navy Ship ”, par Benjamin Wiser et Eric Schmitt, The New York Times, 6 octobre 2013.
[5 ] “How the U.S. Is Interrogating a Qaeda Suspect ”, par Charlie Savage et Benjamin Weiser, The New York Times, 7 octobre 2013.
[6 ] « Le secret de Guantánamo  », par Thierry Meyssan,Odnako/Réseau Voltaire, 28 octobre 2009.