La VdlR. N’avez-vous pas l’impression que ce sentiment d’exclusivité jusque là cultivé par les USA est en passe de reculer si on en juge par les tergiversations d’Obama par rapport à la résolution du dossier syrien et leur reconnaissance de la victoire diplomatique de la Russie dans cette affaire ?
Richard Labévière. Vous avez raison … Je pense que cette arrogance est sur le déclin. Je pense que l’hyperpuissance américaine est sur le déclin pour différentes raisons. D’une part, parce que sur le plan de son hard power, à travers son économie, les USA connaissent passablement des problèmes intérieurs et extérieurs dans leurs échanges commerciaux, même s’ils se targuent de pouvoir bénéficier d’une autonomie énergétique avec les gaz de schiste. En tout cas, le modèle américain, sa monnaie, son endettement font que le pays est en déclin.
Sur le plan militaire et international, les USA ont subi, bien avant Obama, du temps des deux administrations de Bush, des revers et des chutes bien sévères qui ont commencé de manière significative sur le plan militaire en 2003 avec la deuxième guerre d’Irak menée par la Grande-Bretagne et les USA. Plus récemment, il est certain que le cinglant revers que l’administration Obama et l’Occident sous l’égide de la France et la Grande-Bretagne ont reçu sur la crise syrienne indique une perte d’influence et d’hégémonie flagrante. Si on prend la seule région du Proche et du Moyen-Orient élargie, en 2014 vous verrez le retrait de l’OTAN et des troupes américaines d’Afghanistan qui constateront sans doute sinon le retour au pouvoir, du moins le regain d’influence des Talibans sur toute la zone afghano-pakistanaise qui sert de profondeur stratégique aux katibas d’Al-Qaïda et qui sont conjointement engagés en Irak, en Syrie et dans le Kurdistan d’Irak, on l’a vu dernièrement. Il est donc question d’un cinglant revers pour la diplomatie et la présence militaire américaine qui en plus s’est doublé d’un échec fracassant des Frères Musulmans en Egypte avec le départ de Morsi, avec les difficultés récurrentes de ces mêmes Frères en Tunisie et avec l’implosion de la Lybie.
Il faut rappeler que les USA ont toujours favorisé les Frères Musulmans depuis Nasser, c’est-à-dire le milieu des années 50, considérant qu’avec les Frères Musulmans au pouvoir il n’y aurait pas de parti communiste, pas de parti nationaliste et il y aurait une économie libérale. Le fait d’avoir cru que les Frères Musulmans géreraient les mal-nommées révolutions arabes a été une erreur terrible qui fait qu’aujourd’hui, dans tout le monde arabo-musulman du Maroc jusqu’au Pakistan, les choix des partenaires américains, y compris des monarchies pétrolières wahhabites (Arabie Saoudite, les Emirats, le Koweït etc.) sont confrontés à des difficultés croissantes face à la fitna, c’est-à-dire la confrontation entre les mondes sunnite et chiite. De ce point de vue-là, les choix américains se sont avérés absolument désastreux et très contreproductifs pour l’influence et les intérêts américains. Alors maintenant, M. Obama nous dit que de toute façon comme avec le gaz de schiste les USA sont autonomes sur le plan énergétique, le Proche-Orient l’intéresse moins et il veut investir ses efforts du côté de l’axe Asie-Pacifique … On verra la suite. Ceci dit, ce qu’il faut noter, c’est que, heureusement, la diplomatie de Serguei Lavrov a été tout à fait ingénieuse et a remporté une très grande victoire sur la crise syrienne qui fait que cette hégémonie américaine s’en trouve durablement atteinte et qu’on peut parler à travers la gestion de la crise syrienne d’un nouveau Yalta, d’un rééquilibrage entre la Russie et les USA marquant la fin de l’unilatéralité comme ce fut le cas, par exemple, en Lybie avec la résolution de 1973 qui a permis aux Occidentaux de reconfigurer le monde selon leurs intérêts.
Justement, parlant de Lybie, cette dernière est à l’heure actuelle entre les mains de mafias et de factions islamistes. Ainsi donc, cette réaffirmation de la puissance russe sur une région vitale de la mer Noire à la Méditerranée, sur l’ensemble irano-syrien est le signe d’un rééquilibrage devant mener à terme à la construction d’un monde multipolaire. C’est également cette réaffirmation de puissance de la Russie dans l’Arctique de Mourmansk à la mer de Béring sur le plan géopolitique qui montrera aux USA qu’ils ne sont plus la seule hyperpuissance mondiale qui puisse décider de l’avenir de l’humanité.
La voix de la Russie, le 2 octobre 2013
Avant de devenir rédacteur-en-chef à RFI, Richard Labévière a été longtemps (1980-1990) journaliste-correspondant aux Nations Unies à Genève. Diplômé en sciences politiques, fin connaisseur de la géopolitique, il est l’auteur d’une quinzaine de livres, dont Les dollars de la terreur : les États-Unis et les islamistes, aux éditions Grasset (1991), Le grand retournement : Bagdad-Beyrouth, aux éditions du seuil (2006), Quand la Syrie s'eveillera, aux éditions Perrin (2011)… Dans Les dollars de la terreur : les États-Unis et les islamistes, il soutient qu’après les attentats du 11 septembre, Al-Qaïda est devenue un outil de subversion et de propagande de l’Arabie Saoudite et des USA. Il démontre aussi les relations historiques et stratégiques entre les Américains et les Frères musulmans. Il a payé le prix de son indépendance d’esprit et de son courage politique en 2008, lorsqu’il a été abusivement licencié de RFI. TunisieSecret
Richard Labévière. Vous avez raison … Je pense que cette arrogance est sur le déclin. Je pense que l’hyperpuissance américaine est sur le déclin pour différentes raisons. D’une part, parce que sur le plan de son hard power, à travers son économie, les USA connaissent passablement des problèmes intérieurs et extérieurs dans leurs échanges commerciaux, même s’ils se targuent de pouvoir bénéficier d’une autonomie énergétique avec les gaz de schiste. En tout cas, le modèle américain, sa monnaie, son endettement font que le pays est en déclin.
Sur le plan militaire et international, les USA ont subi, bien avant Obama, du temps des deux administrations de Bush, des revers et des chutes bien sévères qui ont commencé de manière significative sur le plan militaire en 2003 avec la deuxième guerre d’Irak menée par la Grande-Bretagne et les USA. Plus récemment, il est certain que le cinglant revers que l’administration Obama et l’Occident sous l’égide de la France et la Grande-Bretagne ont reçu sur la crise syrienne indique une perte d’influence et d’hégémonie flagrante. Si on prend la seule région du Proche et du Moyen-Orient élargie, en 2014 vous verrez le retrait de l’OTAN et des troupes américaines d’Afghanistan qui constateront sans doute sinon le retour au pouvoir, du moins le regain d’influence des Talibans sur toute la zone afghano-pakistanaise qui sert de profondeur stratégique aux katibas d’Al-Qaïda et qui sont conjointement engagés en Irak, en Syrie et dans le Kurdistan d’Irak, on l’a vu dernièrement. Il est donc question d’un cinglant revers pour la diplomatie et la présence militaire américaine qui en plus s’est doublé d’un échec fracassant des Frères Musulmans en Egypte avec le départ de Morsi, avec les difficultés récurrentes de ces mêmes Frères en Tunisie et avec l’implosion de la Lybie.
Il faut rappeler que les USA ont toujours favorisé les Frères Musulmans depuis Nasser, c’est-à-dire le milieu des années 50, considérant qu’avec les Frères Musulmans au pouvoir il n’y aurait pas de parti communiste, pas de parti nationaliste et il y aurait une économie libérale. Le fait d’avoir cru que les Frères Musulmans géreraient les mal-nommées révolutions arabes a été une erreur terrible qui fait qu’aujourd’hui, dans tout le monde arabo-musulman du Maroc jusqu’au Pakistan, les choix des partenaires américains, y compris des monarchies pétrolières wahhabites (Arabie Saoudite, les Emirats, le Koweït etc.) sont confrontés à des difficultés croissantes face à la fitna, c’est-à-dire la confrontation entre les mondes sunnite et chiite. De ce point de vue-là, les choix américains se sont avérés absolument désastreux et très contreproductifs pour l’influence et les intérêts américains. Alors maintenant, M. Obama nous dit que de toute façon comme avec le gaz de schiste les USA sont autonomes sur le plan énergétique, le Proche-Orient l’intéresse moins et il veut investir ses efforts du côté de l’axe Asie-Pacifique … On verra la suite. Ceci dit, ce qu’il faut noter, c’est que, heureusement, la diplomatie de Serguei Lavrov a été tout à fait ingénieuse et a remporté une très grande victoire sur la crise syrienne qui fait que cette hégémonie américaine s’en trouve durablement atteinte et qu’on peut parler à travers la gestion de la crise syrienne d’un nouveau Yalta, d’un rééquilibrage entre la Russie et les USA marquant la fin de l’unilatéralité comme ce fut le cas, par exemple, en Lybie avec la résolution de 1973 qui a permis aux Occidentaux de reconfigurer le monde selon leurs intérêts.
Justement, parlant de Lybie, cette dernière est à l’heure actuelle entre les mains de mafias et de factions islamistes. Ainsi donc, cette réaffirmation de la puissance russe sur une région vitale de la mer Noire à la Méditerranée, sur l’ensemble irano-syrien est le signe d’un rééquilibrage devant mener à terme à la construction d’un monde multipolaire. C’est également cette réaffirmation de puissance de la Russie dans l’Arctique de Mourmansk à la mer de Béring sur le plan géopolitique qui montrera aux USA qu’ils ne sont plus la seule hyperpuissance mondiale qui puisse décider de l’avenir de l’humanité.
La voix de la Russie, le 2 octobre 2013
Avant de devenir rédacteur-en-chef à RFI, Richard Labévière a été longtemps (1980-1990) journaliste-correspondant aux Nations Unies à Genève. Diplômé en sciences politiques, fin connaisseur de la géopolitique, il est l’auteur d’une quinzaine de livres, dont Les dollars de la terreur : les États-Unis et les islamistes, aux éditions Grasset (1991), Le grand retournement : Bagdad-Beyrouth, aux éditions du seuil (2006), Quand la Syrie s'eveillera, aux éditions Perrin (2011)… Dans Les dollars de la terreur : les États-Unis et les islamistes, il soutient qu’après les attentats du 11 septembre, Al-Qaïda est devenue un outil de subversion et de propagande de l’Arabie Saoudite et des USA. Il démontre aussi les relations historiques et stratégiques entre les Américains et les Frères musulmans. Il a payé le prix de son indépendance d’esprit et de son courage politique en 2008, lorsqu’il a été abusivement licencié de RFI. TunisieSecret