Le bateau ivre de la Tunisie. Sous des slogans mobilisateurs pour peuples incultes, la destruction de la Tunisie a commencé dès janvier 2011.
Sans adhérer au mot de l'ancien président français Jacques Chirac vantant un peu vite "le miracle économique tunisien" sous la présidence de son ami Ben Ali, il faut bien se rendre à l'évidence. L'économie tunisienne s'effondre par rapport à la période où régnait la dictature. Plombé par un tourisme en berne, une Libye en plein chaos et une production de phosphates en chute libre, le taux de croissance s'est effondré : 1.5 % en moyenne pour les années 2011 -2013, par rapport à un taux moyen historique de 5.2 % sur la période 1960 -2010.
De plus en plus de tunisiens saignés par la crise affirment souhaiter l'avènement d'un régime qui allierait "les performances économiques de Ben Ali aux libertés publiques acquises par l'élan révolutionnaire de 2O11". Voici un joli programme pour un futur candidat aux présidentielles de novembre 2014. Encore faut-il évaluer avec justesse ce que fut hier et ce qu'est aujourd'hui la gestion du pays. Les chiffres obtenus par "Mondafrique" au sein même de l'administration tunisienne sont à cet égard éloquents.
UGTT-Ennahda, une alliance objective
En deux années de gouvernement, les islamistes au pouvoir ont cédé, sur l'essentiel, aux revendications de l'UGTT, aussi bien sur les salaires que sur les recrutements. Un accord objectif existait entre les islamistes, adeptes comme Ben Ali du clientélisme au sein de l'administration et la grande centrale syndicale tunisienne, qui a sauvé son unité en pratiquant une fuite en avant salariale. Le dérapage des traitements publics s'est élevé, depuis le départ de Ben Ali, à + 55 %. Soit un cout qui est passé pour le budget de l'Etat de 6,8 à 10,5 Milliards de dinars. En deux ans, 100.000 (!) recrutements, dont beaucoup dans la police, ont été effectués dans la fonction publique et les entreprises publiques.
D’où un déficit budgétaire qui dépassera 10 % du PIB en 20214 contre 1 % en 2010. Au total cette année, les dépenses publiques s'élèvent à 29 milliards de dinars en 2014 contre 18 en 2010.. La Tunisie est aujourd’hui condamnée à gérer au quotidien la couverture nécessaire pour le paiement des salaires des fonctionnaires en usant de "la planche à billets", comme on disait autrefois. A savoir les bons du trésor prêtés par la Banque centrale aux banques et qui sont, au delà d'un certain seuil, source d'inflation et donc de déséquilibre de la balance des paiements. Le matelas de devises dont dispose la Tunisie n'excède pas aujourd'hui deux ou trois mois de trésorerie!
La Tunisie des oubliés ... toujours oubliée
Plus grave, il ne s’agit pas de dépenses qui auraient été ciblées pour les régions ou les couches défavorisées, bien au contraire. Le taux de décaissement effectif des investissements publics régionaux est d'un quart inférieur à celui qui avait été prévu par le budget 2013. Soit une chute brutale de 1 milliard de dinars en moyenne par an de 2000 à 2010 à 250 millions de dinars en 2013. Handicapée hier sous les régimes de Bourguiba et de Ben Ali et prête à se soulever comme en 2008 à Gafsa et en décembre 2010 à Sidi Bouzid, la Tunisie de l'intérieur vit aujourd'hui une véritable paralysie économique sur laquelle Mondafrique reviendra.
Nous voici en Tunisie avec une une croissance quasi nulle en 2012 et 2013 et un fort accroissement du chômage: 630 000 chômeurs à fin 2013 contre 500 000 en 2010; 220 000 chômeurs diplômés à fin 2013 contre 140 000 en 2011). Sans même évoquer l'exode des jeunes qui a atteint 90 000 jeunes en 2012 – 2013. "En outre, précise un économiste tunisien, cette faible croissance est principalement tirée par la consommation : salaires dans le secteur public, crédit à la consommation….En fait, le maigre taux de croissance de 1% pour les années 2012/2013 s'appuie artificiellement pour moitié sur la hausse des salaires de la fonction publique.
Une trésorerie exsangue
En 2013, les ressources propres de l'Etat (16,3 m d) ne permettent plus de payer l'ensemble des postes budgétaires: les salaires (9,8 milliards D); les dépenses des caisses d'aide aux produits de première nécessité, dites caisses de compensation (5,5 milliards D); ou encore les dépenses d’investissement (4,8 milliards de D).
Soit un déficit structurel de 3.8 Milliards de dinars, auquel s’ajoute un reliquat de dépenses non financées en 2013 de 2,6 milliards de dinars, reportées sur le budget 2014. Une première!
Et ce n'est pas tout. Le système bancaire est au plus mal. Il faudrait, d'après la revue "Maghreb Confidentie" 1,7 milliard de dollars pour sauver les principaux établissements publics, comme la STB ou la BNA, d'une faillite annoncée. Hélas les bailleurs de fonds, comme la Banque Africaine de développement (BAD) ou la Banque Européenne d'Investissement (BEI), réunis le 18 juin en Tunisie par le gouverneur de la Banque Centrale de Tunis, Chedly Ayari, se sont dits sceptiques sur la sincérité des audits pratiqués sur le système bancaire tunisien en 2013. Voici les banques tunisiennes non seulement dans le rouge mais aussi dans la dénégation!
Un bilan blanchi?
Il faut saluer, dans une telle conjoncture, la formidable capacité des islamistes à rebondir politiquement depuis qu'ils ont quitté le gouvernement à la fin de 2013 (mais non "le pouvoir", avait précisé Ghannouchi). La tournée du "Guide", Rached Ghannouchi, qui a même rendu visite à Jack Lang et à Rachida Dati, illustre bien la formidable machine à communiquer mise en place par le mouvement Ennahda. Encore faut-il rappeler quelques évidences. Si le Gouvernement de la troïka a démissionné, ce n'est pas seulement pour faciliter la transition par la nomination d'une équipe plus neutre et indépendante. C'est aussi et surtout parce que les islamistes et leurs alliés n'étaient plus en mesure de remplir les obligations financières de l'Etat. Compte tenu de l'hostilité aux Frères Musulmans des principaux bailleurs de fonds (Algérie, Arabie Saoudite, Emirats, Europe...), le gouvernement précédent était dans l'impossibilité de trouver des financements extérieurs.
La « facture » des islamistes au pouvoir se chiffre finalement à 11,8 milliards de dinars pour les années 2012 et 2013 sans compter les effets sur les années ultérieurs, cette facture la Tunisie mettra des années pour la solder. Malgré la difficulté de la situation révolutionnaire régnant en 2011 (explosion des demandes sociales, crise humanitaire à la frontière libyenne..), la « facture » du Gouvernement de Caïd Essebsi, l'ancien Premier ministre bourguibiste, qui a lui aussi privilégié les solutions politiques à une gestion saine des finances de l'Etat, aura été, elle, de 3,2 milliards de dinars. Aurait pu mieux faire !
En octobre 2014, les Tunisiens sauront-ils se souvenir des chiffres réels de la gestion gouvernementale des Frères Musulmans? Blanchiront-ils le bilan des frères Musulmans dont le mérite aura été d'ouvrir les portes de l'administration à des catégories sociales qui en étaient exclues? Le gouvernement actuel, qui s'est refusé à faire en arrivant un audit de la situation du pays, sera-t-il un bouc émissaire commode de la situation financière calamiteuse de la Tunisie? On peut imaginer que dans le tumulte d'une campagne électorale électrique l'heure ne sera pas aux chiffres et aux additions!
Nicolas Beau, Mondafrique du 28 juin 2014
De plus en plus de tunisiens saignés par la crise affirment souhaiter l'avènement d'un régime qui allierait "les performances économiques de Ben Ali aux libertés publiques acquises par l'élan révolutionnaire de 2O11". Voici un joli programme pour un futur candidat aux présidentielles de novembre 2014. Encore faut-il évaluer avec justesse ce que fut hier et ce qu'est aujourd'hui la gestion du pays. Les chiffres obtenus par "Mondafrique" au sein même de l'administration tunisienne sont à cet égard éloquents.
UGTT-Ennahda, une alliance objective
En deux années de gouvernement, les islamistes au pouvoir ont cédé, sur l'essentiel, aux revendications de l'UGTT, aussi bien sur les salaires que sur les recrutements. Un accord objectif existait entre les islamistes, adeptes comme Ben Ali du clientélisme au sein de l'administration et la grande centrale syndicale tunisienne, qui a sauvé son unité en pratiquant une fuite en avant salariale. Le dérapage des traitements publics s'est élevé, depuis le départ de Ben Ali, à + 55 %. Soit un cout qui est passé pour le budget de l'Etat de 6,8 à 10,5 Milliards de dinars. En deux ans, 100.000 (!) recrutements, dont beaucoup dans la police, ont été effectués dans la fonction publique et les entreprises publiques.
D’où un déficit budgétaire qui dépassera 10 % du PIB en 20214 contre 1 % en 2010. Au total cette année, les dépenses publiques s'élèvent à 29 milliards de dinars en 2014 contre 18 en 2010.. La Tunisie est aujourd’hui condamnée à gérer au quotidien la couverture nécessaire pour le paiement des salaires des fonctionnaires en usant de "la planche à billets", comme on disait autrefois. A savoir les bons du trésor prêtés par la Banque centrale aux banques et qui sont, au delà d'un certain seuil, source d'inflation et donc de déséquilibre de la balance des paiements. Le matelas de devises dont dispose la Tunisie n'excède pas aujourd'hui deux ou trois mois de trésorerie!
La Tunisie des oubliés ... toujours oubliée
Plus grave, il ne s’agit pas de dépenses qui auraient été ciblées pour les régions ou les couches défavorisées, bien au contraire. Le taux de décaissement effectif des investissements publics régionaux est d'un quart inférieur à celui qui avait été prévu par le budget 2013. Soit une chute brutale de 1 milliard de dinars en moyenne par an de 2000 à 2010 à 250 millions de dinars en 2013. Handicapée hier sous les régimes de Bourguiba et de Ben Ali et prête à se soulever comme en 2008 à Gafsa et en décembre 2010 à Sidi Bouzid, la Tunisie de l'intérieur vit aujourd'hui une véritable paralysie économique sur laquelle Mondafrique reviendra.
Nous voici en Tunisie avec une une croissance quasi nulle en 2012 et 2013 et un fort accroissement du chômage: 630 000 chômeurs à fin 2013 contre 500 000 en 2010; 220 000 chômeurs diplômés à fin 2013 contre 140 000 en 2011). Sans même évoquer l'exode des jeunes qui a atteint 90 000 jeunes en 2012 – 2013. "En outre, précise un économiste tunisien, cette faible croissance est principalement tirée par la consommation : salaires dans le secteur public, crédit à la consommation….En fait, le maigre taux de croissance de 1% pour les années 2012/2013 s'appuie artificiellement pour moitié sur la hausse des salaires de la fonction publique.
Une trésorerie exsangue
En 2013, les ressources propres de l'Etat (16,3 m d) ne permettent plus de payer l'ensemble des postes budgétaires: les salaires (9,8 milliards D); les dépenses des caisses d'aide aux produits de première nécessité, dites caisses de compensation (5,5 milliards D); ou encore les dépenses d’investissement (4,8 milliards de D).
Soit un déficit structurel de 3.8 Milliards de dinars, auquel s’ajoute un reliquat de dépenses non financées en 2013 de 2,6 milliards de dinars, reportées sur le budget 2014. Une première!
Et ce n'est pas tout. Le système bancaire est au plus mal. Il faudrait, d'après la revue "Maghreb Confidentie" 1,7 milliard de dollars pour sauver les principaux établissements publics, comme la STB ou la BNA, d'une faillite annoncée. Hélas les bailleurs de fonds, comme la Banque Africaine de développement (BAD) ou la Banque Européenne d'Investissement (BEI), réunis le 18 juin en Tunisie par le gouverneur de la Banque Centrale de Tunis, Chedly Ayari, se sont dits sceptiques sur la sincérité des audits pratiqués sur le système bancaire tunisien en 2013. Voici les banques tunisiennes non seulement dans le rouge mais aussi dans la dénégation!
Un bilan blanchi?
Il faut saluer, dans une telle conjoncture, la formidable capacité des islamistes à rebondir politiquement depuis qu'ils ont quitté le gouvernement à la fin de 2013 (mais non "le pouvoir", avait précisé Ghannouchi). La tournée du "Guide", Rached Ghannouchi, qui a même rendu visite à Jack Lang et à Rachida Dati, illustre bien la formidable machine à communiquer mise en place par le mouvement Ennahda. Encore faut-il rappeler quelques évidences. Si le Gouvernement de la troïka a démissionné, ce n'est pas seulement pour faciliter la transition par la nomination d'une équipe plus neutre et indépendante. C'est aussi et surtout parce que les islamistes et leurs alliés n'étaient plus en mesure de remplir les obligations financières de l'Etat. Compte tenu de l'hostilité aux Frères Musulmans des principaux bailleurs de fonds (Algérie, Arabie Saoudite, Emirats, Europe...), le gouvernement précédent était dans l'impossibilité de trouver des financements extérieurs.
La « facture » des islamistes au pouvoir se chiffre finalement à 11,8 milliards de dinars pour les années 2012 et 2013 sans compter les effets sur les années ultérieurs, cette facture la Tunisie mettra des années pour la solder. Malgré la difficulté de la situation révolutionnaire régnant en 2011 (explosion des demandes sociales, crise humanitaire à la frontière libyenne..), la « facture » du Gouvernement de Caïd Essebsi, l'ancien Premier ministre bourguibiste, qui a lui aussi privilégié les solutions politiques à une gestion saine des finances de l'Etat, aura été, elle, de 3,2 milliards de dinars. Aurait pu mieux faire !
En octobre 2014, les Tunisiens sauront-ils se souvenir des chiffres réels de la gestion gouvernementale des Frères Musulmans? Blanchiront-ils le bilan des frères Musulmans dont le mérite aura été d'ouvrir les portes de l'administration à des catégories sociales qui en étaient exclues? Le gouvernement actuel, qui s'est refusé à faire en arrivant un audit de la situation du pays, sera-t-il un bouc émissaire commode de la situation financière calamiteuse de la Tunisie? On peut imaginer que dans le tumulte d'une campagne électorale électrique l'heure ne sera pas aux chiffres et aux additions!
Nicolas Beau, Mondafrique du 28 juin 2014