L’opinion publique occidentale a subi un véritable « lavage de cerveau » : l’horrible guerre civile en Syrie est un peu plus compliquée qu’une lutte entre un méchant dictateur et des gentils rebelles.
Le 15 mai, l’Assemblée générale des Nations unies a voté une résolution présentée par le Qatar, avec l’appui de la plupart des Etats arabes et occidentaux, condamnant le régime syrien et appelant à une transition pacifique, par 107 voix pour, 12 contre et 59 abstentions.
Cette résolution n’est pas une victoire des opposants, pour trois raisons. Elle a obtenu moins de voix que la précédente sur le même sujet, adoptée en août 2012 (133 voix pour). La Coalition de l’opposition n’est pas désignée comme « la seule représentante du peuple syrien », mais comme un « interlocuteur effectif et représentatif nécessaire pour une transition politique ». Enfin, les Etats favorables constituent vraisemblablement moins de la moitié de la population mondiale.
Parmi les pays qui se sont opposés ou abstenus, on trouve toutes les puissances émergentes du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Deux cas singuliers sont intéressants : le Mali, temporairement débarrassé des islamistes par la France, s’est abstenu. L’Irak était absent lors du vote. L’étude des résolutions des Nations unies est illustrative.
L’ethnocentrisme occidental et la puissance financière des pétromonarchies ont conduit à l’aveuglement. La presse en est partiellement responsable, sans doute par un légitime désir de lutter contre tout totalitarisme. Les révoltes arabes furent taxées de « printemps » par référence à l’histoire européenne. Elles furent prises pour « démocratiques » alors qu’elles étaient libertaires et socioéconomiques.
Les régimes qui en ont hérité, en Egypte et en Tunisie, ont surpris par leur désir, attendu et justifié, d’introduire des valeurs islamiques. La Libye, pays du chaos s’étendant vers l’Afrique sahélienne, a presque disparu des écrans. Au lointain Yémen, le peuple est encore plus miséreux qu’avant.
La Syrie représente un enjeu plus complexe. Dans un premier temps, les insurgés gagnèrent largement la bataille de l’information. Ils continuent de compter sur l’appui des chaînes Al-Jazira et Al-Arabiya, outils de guerre financés par le Qatar et l’Arabie saoudite. Un obscur Observatoire syrien des droits de l’homme basé à Londres reçoit, des mêmes sources, les fonds nécessaires pour diffuser nouvelles et vidéos produites par les insurgés. A l’inverse, comme toute dictature, le régime en place refuse transparence et objectivité.
Réalistes et connaisseurs, le gouvernement et la presse en Israël, pourtant directement concernés, ont montré une réserve symptomatique, à l’exception des livraisons d’armes au Hezbollah. A l’inverse, par idéologie plutôt que par noirs desseins, l’opinion publique occidentale a subi un véritable lavage de cerveau. Les exemples sont foison. Ils sont parfois anecdotiques mais créent l’image. Au début, la plus célèbre « bloggeuse » syrienne se proclamait lesbienne pour accroître l’intérêt des lecteurs potentiels. C’était un Américain. Le portrait de Zainab al-Hosni, symbole de la résistance, fut brandi pendant les premières manifestations. Son corps mutilé et décapité avait été remis à sa famille. Or, elle est réapparue à la télévision, bien vivante ! La presse occidentale dénonce unilatéralement. Les journaux sont abreuvés de statistiques mises à jour par une autorité inconnue. Les manifestations en faveur du régime sont rarement montrées. Elles seraient toujours contraintes, alors que celles des opposants sont spontanées. Inlassablement, il est rappelé que la contestation était initialement pacifique. Ce qui est partiellement inexact, puisque, dès le 10 avril 2011, des journalistes rapportèrent l’assassinat de membres des forces armées. Les exemples pourraient être nombreux dans les médias anglo-saxons également. Le comble fut sans doute cette photographie affichée par la BBC, montrant un adolescent sautant par-dessus un alignement de cadavres, suite au massacre attribué au régime. Le photographe italien qui a pris cette vue a protesté, disant qu’elle avait été prise en Irak, quelques années précédemment. Les ténors de l’intelligentsia française y sont allés de leurs élucubrations : « Des tueurs d’Assad [ont] lancé… non loin de la ville rebelle de Homs, des opérations aériennes avec utilisation de gaz toxiques », prétendait Bernard-Henri Lévy sur son site, en septembre 2011 déjà.
L’inévitable essayiste Caroline Fourest écrivait dans Le Monde du 25 février 2012 : « […] Des opposants au régime iranien affirment que leur gouvernement a fourni un four crématoire à son allié syrien. Installé dans la zone industrielle d’Alep, il tournerait à plein régime […]. » En revanche, ce qui est négatif pour l’opposition est occulté. Dans une lettre de mars 2012, une religieuse du diocèse de Homs cite des noms de victimes et de lieux où des exactions ont été commises. Elle décrit les procédés de nettoyage des minorités. Elle dénonce les manipulations de petits groupes terroristes. La seule réaction fut un article de Libération, qui la prétendait manipulée par le Front national. Il est maintenant reconnu que les insurgés commettent aussi des crimes abominables.
Les gouvernements occidentaux n’ont jamais cherché une possible solution pacifique au conflit. Les propositions d’Assad étaient taxées de « provocations », et les difficiles tentatives de médiation de l’ONU considérées comme mort-nées. Outre les condamnations et les menaces de fournir des armes aux insurgés, la démarche principale fut d’accabler la Russie, dont la position est restée constante.
Même si le régime regagne du terrain, l’impasse militaire est totale. Russes et Occidentaux s’accordent pour tenter d’arrêter le carnage. En Turquie, la population, en particulier la minorité alévie de la même souche ismaélienne que les alaouites et comptant entre 15 et 20 millions d’âmes, n’appuie pas la politique de leur gouvernement. Isolées, les pétromonarchies ne pourraient plus agir.
La négociation a une petite chance de commencer. Les opinions publiques doivent donc être plus objectivement informées, pour soutenir ce processus délicat. L’aventure occidentale en Libye a pesé lourdement, en laissant les insurgés espérer une intervention étrangère et poussant inversement des Etats, dont la Chine et la Russie, à s’opposer à toute manœuvre visant à changer un régime. L’erreur fut de comparer Assad à Kadhafi et d’exiger d’emblée son départ. La chute du dictateur n’aurait rien changé, dans ce combat de communautés à la vie ou à la mort.
S’il est encore temps, le retour à la diplomatie, autour du mémorandum de Genève du 30 juin 2012, sera ardu mais resterait possible, malgré l’entêtement du régime et l’incurie de l’opposition, qui ne contrôle pas les djihadistes. Après tant de violence, de haine et de sang, les protagonistes ne voudront sans doute plus vivre ensemble. Les frontières politiques actuelles, imposées il y a un siècle par l’impérialisme franco-britannique, ne devraient pas être taboues. Les lignes de fracture sont déjà dessinées sur le terrain. Dans le pire des cas, des « cantons » sunnite, chiite, druze, kurde pourraient coexister et travailler ensemble à la reconstruction, après s’être mutuellement épuisés.
Par Marcel Boisard – Journal suisse Le Temps du 28 mai 2013
Le 15 mai, l’Assemblée générale des Nations unies a voté une résolution présentée par le Qatar, avec l’appui de la plupart des Etats arabes et occidentaux, condamnant le régime syrien et appelant à une transition pacifique, par 107 voix pour, 12 contre et 59 abstentions.
Cette résolution n’est pas une victoire des opposants, pour trois raisons. Elle a obtenu moins de voix que la précédente sur le même sujet, adoptée en août 2012 (133 voix pour). La Coalition de l’opposition n’est pas désignée comme « la seule représentante du peuple syrien », mais comme un « interlocuteur effectif et représentatif nécessaire pour une transition politique ». Enfin, les Etats favorables constituent vraisemblablement moins de la moitié de la population mondiale.
Parmi les pays qui se sont opposés ou abstenus, on trouve toutes les puissances émergentes du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Deux cas singuliers sont intéressants : le Mali, temporairement débarrassé des islamistes par la France, s’est abstenu. L’Irak était absent lors du vote. L’étude des résolutions des Nations unies est illustrative.
L’ethnocentrisme occidental et la puissance financière des pétromonarchies ont conduit à l’aveuglement. La presse en est partiellement responsable, sans doute par un légitime désir de lutter contre tout totalitarisme. Les révoltes arabes furent taxées de « printemps » par référence à l’histoire européenne. Elles furent prises pour « démocratiques » alors qu’elles étaient libertaires et socioéconomiques.
Les régimes qui en ont hérité, en Egypte et en Tunisie, ont surpris par leur désir, attendu et justifié, d’introduire des valeurs islamiques. La Libye, pays du chaos s’étendant vers l’Afrique sahélienne, a presque disparu des écrans. Au lointain Yémen, le peuple est encore plus miséreux qu’avant.
La Syrie représente un enjeu plus complexe. Dans un premier temps, les insurgés gagnèrent largement la bataille de l’information. Ils continuent de compter sur l’appui des chaînes Al-Jazira et Al-Arabiya, outils de guerre financés par le Qatar et l’Arabie saoudite. Un obscur Observatoire syrien des droits de l’homme basé à Londres reçoit, des mêmes sources, les fonds nécessaires pour diffuser nouvelles et vidéos produites par les insurgés. A l’inverse, comme toute dictature, le régime en place refuse transparence et objectivité.
Réalistes et connaisseurs, le gouvernement et la presse en Israël, pourtant directement concernés, ont montré une réserve symptomatique, à l’exception des livraisons d’armes au Hezbollah. A l’inverse, par idéologie plutôt que par noirs desseins, l’opinion publique occidentale a subi un véritable lavage de cerveau. Les exemples sont foison. Ils sont parfois anecdotiques mais créent l’image. Au début, la plus célèbre « bloggeuse » syrienne se proclamait lesbienne pour accroître l’intérêt des lecteurs potentiels. C’était un Américain. Le portrait de Zainab al-Hosni, symbole de la résistance, fut brandi pendant les premières manifestations. Son corps mutilé et décapité avait été remis à sa famille. Or, elle est réapparue à la télévision, bien vivante ! La presse occidentale dénonce unilatéralement. Les journaux sont abreuvés de statistiques mises à jour par une autorité inconnue. Les manifestations en faveur du régime sont rarement montrées. Elles seraient toujours contraintes, alors que celles des opposants sont spontanées. Inlassablement, il est rappelé que la contestation était initialement pacifique. Ce qui est partiellement inexact, puisque, dès le 10 avril 2011, des journalistes rapportèrent l’assassinat de membres des forces armées. Les exemples pourraient être nombreux dans les médias anglo-saxons également. Le comble fut sans doute cette photographie affichée par la BBC, montrant un adolescent sautant par-dessus un alignement de cadavres, suite au massacre attribué au régime. Le photographe italien qui a pris cette vue a protesté, disant qu’elle avait été prise en Irak, quelques années précédemment. Les ténors de l’intelligentsia française y sont allés de leurs élucubrations : « Des tueurs d’Assad [ont] lancé… non loin de la ville rebelle de Homs, des opérations aériennes avec utilisation de gaz toxiques », prétendait Bernard-Henri Lévy sur son site, en septembre 2011 déjà.
L’inévitable essayiste Caroline Fourest écrivait dans Le Monde du 25 février 2012 : « […] Des opposants au régime iranien affirment que leur gouvernement a fourni un four crématoire à son allié syrien. Installé dans la zone industrielle d’Alep, il tournerait à plein régime […]. » En revanche, ce qui est négatif pour l’opposition est occulté. Dans une lettre de mars 2012, une religieuse du diocèse de Homs cite des noms de victimes et de lieux où des exactions ont été commises. Elle décrit les procédés de nettoyage des minorités. Elle dénonce les manipulations de petits groupes terroristes. La seule réaction fut un article de Libération, qui la prétendait manipulée par le Front national. Il est maintenant reconnu que les insurgés commettent aussi des crimes abominables.
Les gouvernements occidentaux n’ont jamais cherché une possible solution pacifique au conflit. Les propositions d’Assad étaient taxées de « provocations », et les difficiles tentatives de médiation de l’ONU considérées comme mort-nées. Outre les condamnations et les menaces de fournir des armes aux insurgés, la démarche principale fut d’accabler la Russie, dont la position est restée constante.
Même si le régime regagne du terrain, l’impasse militaire est totale. Russes et Occidentaux s’accordent pour tenter d’arrêter le carnage. En Turquie, la population, en particulier la minorité alévie de la même souche ismaélienne que les alaouites et comptant entre 15 et 20 millions d’âmes, n’appuie pas la politique de leur gouvernement. Isolées, les pétromonarchies ne pourraient plus agir.
La négociation a une petite chance de commencer. Les opinions publiques doivent donc être plus objectivement informées, pour soutenir ce processus délicat. L’aventure occidentale en Libye a pesé lourdement, en laissant les insurgés espérer une intervention étrangère et poussant inversement des Etats, dont la Chine et la Russie, à s’opposer à toute manœuvre visant à changer un régime. L’erreur fut de comparer Assad à Kadhafi et d’exiger d’emblée son départ. La chute du dictateur n’aurait rien changé, dans ce combat de communautés à la vie ou à la mort.
S’il est encore temps, le retour à la diplomatie, autour du mémorandum de Genève du 30 juin 2012, sera ardu mais resterait possible, malgré l’entêtement du régime et l’incurie de l’opposition, qui ne contrôle pas les djihadistes. Après tant de violence, de haine et de sang, les protagonistes ne voudront sans doute plus vivre ensemble. Les frontières politiques actuelles, imposées il y a un siècle par l’impérialisme franco-britannique, ne devraient pas être taboues. Les lignes de fracture sont déjà dessinées sur le terrain. Dans le pire des cas, des « cantons » sunnite, chiite, druze, kurde pourraient coexister et travailler ensemble à la reconstruction, après s’être mutuellement épuisés.
Par Marcel Boisard – Journal suisse Le Temps du 28 mai 2013
Biographie de l’auteur
Citoyen Suisse né en 1939 à Genève, M. Boisard a fait ses études universitaires en Suisse (Genève), en Allemagne (Hambourg) et aux États-Unis (Connecticut). Il a obtenu son doctorat de l’Institut Supérieur d’ Études internationales à Genève. M. Marcel A. Boisard fut Directeur Général de l’UNITAR 'United Nations Institute for Training and Research) de mars 1992 à février 2007.
Il commença sa carrière internationale au début des années 60 comme délégué du comité international de la Croix Rouge (CICR). Ensuite, il fut recruté comme conseiller économique par le Département de la coopération technique du ministère des Affaires étrangères Suisse, puis par le Gouvernement du Burundi dans le cadre des négociations du traité de Yaoundé. Il fut nommé comme Président des experts africains (de mai 1966 à mai 1967), période pendant laquelle il a participé à plusieurs réunions.
En tant que représentant du CICR, M. Boisard servit exclusivement sur le terrain et pendant les conflits armés (Algérie, Yémen, Égypte, Syrie, Arabie Saoudite). Il fut appelé à conduire plusieurs négociations internationales à haut niveau et il représenta le CICR dans des réunions multilatérales. Il était en particulier responsable du suivi de la mise en œuvre de la Convention de Genève dans divers conflits armés au Moyen Orient. Il fut souvent appelé à traverser les lignes de front entre les parties belligérantes pour négocier et obtenir le cessez-le-feu et ouvrir des corridors humanitaires.
D’octobre 1975 à juin 1980, M. Boisard était associé à l’Institut Supérieur d’études internationales à Genève. Il était parmi les fondateurs et a servi comme secrétaire général de l’association culturelle internationale « l’Islam et l’Ouest ». Durant cette période, M. Boisard a publié plus d’une trentaine de livres et d’articles traitant principalement des relations interculturelles internationales, du monde arabo-musulman, des négociations multilatérales et des organisations intergouvernementales. Son livre qui a fait date dans les publications orientalistes est « L’Humanisme de l’islam », édition Albin Michel, 1979. Les islamophobes, comme les islamo-fascistes devraient lire cet essai, mieux vaut tard que jamais.
Lilia Ben Rejeb, Tunisie-Secret
Citoyen Suisse né en 1939 à Genève, M. Boisard a fait ses études universitaires en Suisse (Genève), en Allemagne (Hambourg) et aux États-Unis (Connecticut). Il a obtenu son doctorat de l’Institut Supérieur d’ Études internationales à Genève. M. Marcel A. Boisard fut Directeur Général de l’UNITAR 'United Nations Institute for Training and Research) de mars 1992 à février 2007.
Il commença sa carrière internationale au début des années 60 comme délégué du comité international de la Croix Rouge (CICR). Ensuite, il fut recruté comme conseiller économique par le Département de la coopération technique du ministère des Affaires étrangères Suisse, puis par le Gouvernement du Burundi dans le cadre des négociations du traité de Yaoundé. Il fut nommé comme Président des experts africains (de mai 1966 à mai 1967), période pendant laquelle il a participé à plusieurs réunions.
En tant que représentant du CICR, M. Boisard servit exclusivement sur le terrain et pendant les conflits armés (Algérie, Yémen, Égypte, Syrie, Arabie Saoudite). Il fut appelé à conduire plusieurs négociations internationales à haut niveau et il représenta le CICR dans des réunions multilatérales. Il était en particulier responsable du suivi de la mise en œuvre de la Convention de Genève dans divers conflits armés au Moyen Orient. Il fut souvent appelé à traverser les lignes de front entre les parties belligérantes pour négocier et obtenir le cessez-le-feu et ouvrir des corridors humanitaires.
D’octobre 1975 à juin 1980, M. Boisard était associé à l’Institut Supérieur d’études internationales à Genève. Il était parmi les fondateurs et a servi comme secrétaire général de l’association culturelle internationale « l’Islam et l’Ouest ». Durant cette période, M. Boisard a publié plus d’une trentaine de livres et d’articles traitant principalement des relations interculturelles internationales, du monde arabo-musulman, des négociations multilatérales et des organisations intergouvernementales. Son livre qui a fait date dans les publications orientalistes est « L’Humanisme de l’islam », édition Albin Michel, 1979. Les islamophobes, comme les islamo-fascistes devraient lire cet essai, mieux vaut tard que jamais.
Lilia Ben Rejeb, Tunisie-Secret