INTERNATIONAL - Les internautes Tunisiens l'on stigmatisé lorsqu'il a dénoncé sur BFM-TV, le 13 janvier 2011, face à Jean-Jacques Bourdin, l'"anarchisme en marche de la horde fanatisée", en visant exclusivement les éléments islamistes qui ne portaient pas à l'époque la barbe ni le hijab, marketing politique et casting révolutionnaire obligent!
À l'exception du Monde, qui a publié sa mémorable lettre de démission de son poste d'ambassadeur de Tunisie auprès de l'UNESCO -seul responsable tunisien à avoir franchi le Rubicon avant la chute de Ben Ali- personne n'a pris la mesure de ce texte qui se terminait par cette phrase prophétique : "Que la Providence préserve la Tunisie de l'affliction anarchiste et de l'abjection islamiste. Vive le peuple tunisien, Vive la jeunesse tunisienne, Vive la République laïque". On était alors bien loin de penser que dans cette Tunisie moderne et sécularisée, les islamistes seraient un jour au pouvoir.
On l'a violemment attaqué lorsqu'il a été le premier à lancer, dès février 2011, le Mouvement néo-bourguibiste, persuadé qu'aucune force politique ne pourra rivaliser avec l'idéologie islamiste à l'exception de l'idéologie nationaliste et bourguibienne. Choix stratégique judicieux, qui a été, bien plus tard, repris par le fondateur de l' "Appel de Tunisie", M.Béji Caïd Essebsi, principal adversaire d'Ennahda aujourd'hui.
Tout aussi bien en Tunisie qu'en France, où cet authentique combattant de la liberté avait perdu quelques amis le jour où il a accepté en 2009 ce poste d'ambassadeur de Tunisie auprès de l'UNESCO, en a regagné subitement beaucoup, mais qui l'ont pris pour un fou lorsqu'il a annoncé, bien avant les élections du 23 octobre 2011, le triomphe du mouvement Ennahda, présenté alors comme un islamisme "modéré" à l'image de l'AKP turc.
On a vu en lui un oiseau de malheur, un intellectuel dépité, lorsqu'il a publié son livre La face cachée de la révolution tunisienne. Islamisme et Occident : une alliance à haut risque , dans lequel il a été le premier à prédire que "le printemps arabe tournerait à l'hiver islamiste", et à révéler que ces révoltes arabes recèlent le projet géopolitique du Grand Moyen-Orient, cher aux néoconservateurs Américains. C'est que pour ce philosophe platonicien, qui a toujours préféré le despotisme éclairé au radicalisme révolutionnaire, les réformes graduelles et l'émancipation des esprits sont la condition sine qua non de la démocratie.
Certains l'ont davantage détesté lorsqu'il a publiquement refusé de s'excuser auprès du peuple tunisien pour les propos tenus chez Jean-Jacques Bourdin, en enfonçant au contraire le clou par cette phrase aussi énigmatique que provocatrice: "La horde a manifesté, la horde a voté, la horde est au pouvoir"! Téméraire et jamais en manque d'argument, il avait ajouté que "c'est au peuple de s'excuse auprès de la nation pour avoir bradé 50 ans d'indépendance et porté au pouvoir une mouvance qui est aux antipodes du modernisme et du réformisme bourguibien".
On l'a pris pour un complotiste exalté quand, intimement convaincu que le Qatar a joué un rôle crucial dans la déstabilisation de la Tunisie, de la Libye, de l'Egypte et de la Syrie, il a décidé d'affronter l'intouchable et redoutable mastodonte qatari en Tunisie et en France. Et qu'il s'est juré de démasquer cet émirat autocratique qui "diffuse le poison wahhabite" partout dans le monde et qui finance "l'islamo-terrorisme" en Somalie, en Syrie, en Irak et au Mali. Et pourtant, sa contribution a été décisive dans l'effondrement de l'image du Qatar en France et dans le Maghreb, où Al-Jazeera et plus généralement le Qatar n'est plus cette vitrine de l'islam tolérant, mais le pourvoyeur des Frères musulmans, de Tombouctou jusqu'à nos banlieues parisiennes.
Telle me parait la raison essentielle de la plainte en diffamation que lui a intentée Khadija Benguenna, l'une des journalistes vedettes d'Al-Jazeera. Car, par-delà les arguments et les pièces versées au dossier par la plaignante, et dont seul le tribunal de Grande instance de Paris appréciera la véracité, il est parfaitement clair que derrière ce procès, il y a la très controversée Al-Jazeera, cette télévision qui possède un Etat, et derrière celle-ci le sacro-saint Qatar. S'il est vrai que lors de l'émission "Ce Soir ou jamais" de France3 , Mezri Haddad a implicitement accusé Khadija Benguenna d'antisémitisme, il n'en demeure pas moins vrai que toute son intervention visait la duplicité de Doha qui cultive magistralement la duplicité et donne la parole sur sa télévision à l'imam Youssef Qaradawi, une sorte de pape made in Qatar qui regrette que "Hitler n'est pas fini le travail avec la juifs" et souhaite que "la prochaine fois les musulmans s'en chargerons". Haddad visait aussi les agissements de l'émir et de sa famille en faveur des mouvements islamistes, y compris les plus radicaux.
Indépendamment du verdict que prononcera une justice à des années lumières de la justice qatarie, qui a condamnée à perpétuité un poète libre et qui retient arbitrairement à Doha des citoyens Français, ce procès devrait être celui de la liberté d'expression contre l'Omerta, de la démocratie contre la théocratie, des Lumières contre l'obscurantisme, de la laïcité contre l'islamisme et de l'humanisme contre l'antisémitisme. Pour avoir connu tous les combats que Mezri Haddad a livrés depuis 25 ans contre ce qu'il appelle "l'islamo-fascisme", et pour être témoin de son honnêteté morale et intellectuelle, je viens le soutenir dans cet ultime combat de David contre Goliath.
Jacques-Marie Bourget, Le Huffington Post du 18 juin 2013
Grand reporter de guerre et fin connaisseur du Proche-Orient, Jacques-Marie Bourget a fait sa carrière dans France Inter, le Canard Enchainé, L'Express et Paris-Match. C’est lui qui avait révélé l’affaire Greenpeace, grâce à laquelle il a obtenu en 1986 le prix « Scoop ». Journaliste audacieux et discret, il a reçu de Jacques Chirac la médaille de Chevallier de l’Ordre national de la Légion d’Honneur. Dernier ouvrage publié, "Le vilain petit Qatar. Cet ami qui nous veut du mal", édition Fayard, 2013