Universitaire franco-tunisien, chercheur associé à l’Académie de Géopolitique de Paris et au Centre d’Analyse de la Politique Etrangère (CAPE).
Les regards sont aujourd’hui tournés vers le monde arabe et musulman avec très souvent beaucoup d’approximations et d’interprétations, ce qui contribue à entretenir la confusion, un état d’ignorance mutuel, une exacerbation plus des passions que de la raison, et la floraison de toute une série de supputations conspirationistes les unes aussi absurdes que les autres, ce qui n’exclue pas le fait que le complot soit seulement une théorie !
La première intervention occidentale en Libye courant 2011, illustre parfaitement cette ignorance de la spécificité de ce pays tribal par excellence. En effet, à l'image de beaucoup de sociétés arabes, la sociologie libyenne est essentiellement bédouine et claniques, formée par des dizaines de tribus situées principalement dans le nord et l'est du pays. La tribu constitue le cadre dans lequel se discute les questions, juridiques, financières, sociétales et aujourd’hui politiques et militaires. Historiquement, la tribu forme l’unité de base de la population libyenne. Le nom même de Libye provient de la tribu millénaire des Libu. Ce système a survécu aux siècles et aux différents régimes politiques qu'a connus le pays, aussi bien durant la colonisation italienne (1911-1943) que pendant la monarchie d'Idris Al-Sanoussi (1951-1969), que le sous règne de Kadhafi de 1969 à 2011.
Aujourd'hui, la Libye est un pays fracturé et divisé, où les habitants se replient sur leur identité primaire, le village et la tribu. Ces tribus ont d'ailleurs joué un rôle central dans la chute de Kadhafi et serait en partie à l'origine du désordre qui règne dans ce pays martyrisé depuis plus de 4 ans. C'est le seul contre-pouvoir, hier sous la dictature du Livre vert, et aujourd'hui sous l'ère de la pseudo- révolution. L'ancien guide libyen n'a jamais cherché à effacer les assises tribales de la société libyenne, bien au contraire, il les a intégrées dans sa théorie politique dite du livre vert. Aujourd’hui, le scénario se répète puisque la Libye fait l'objet d'une deuxième intervention militaire occidentale qu'on présente comme imminente. Il serait intéressant de suivre la position des différentes tribus libyennes, notamment les Kadhafa, celle à laquelle appartient l’ex homme fort de Libye.
Je dois dire qu'il est très difficile de répondre à cette question d'une importance capitale pour la suite des opérations militaires en Libye et sur la quelle il n'est guère facile de trancher tant des divisions peuvent apparaître dans une seule et même tribu, ce qui complique davantage la donne aux libyens, aux occidentaux et à leurs voisins immédiats algériens et surtout tunisiens.
Il faut reconnaître que la première intervention étrangère en Libye a fait tellement un carton, qu'il n'est pas exclu aujourd'hui qu'un nouveau feuilleton militaire soit en préparation. Il faut dire que ces derniers temps, les vols de reconnaissance et la collecte de renseignements, rendus nécessaires par la présence de plus en plus visible de L'EI et la consolidation de leurs positions en Libye, notamment à Syrte, administrée par l'état islamique, sans compter que d'autres villes sont aujourd'hui sous forte influence de Daech notamment Misrata, Benghazi et Derna, où des responsables locaux se sont officiellement ralliés à Daech en novembre dernier.
Les risques d'une deuxième intervention militaire seront énormes, car cela signifierait à moyen terme une modification géopolitique de la carte de la région maghrébine. La question n'est plus de savoir si une deuxième opération militaire aura lieu, mais plutôt quand elle sera déclenchée. A en croire le commandant en chef de l'état-major interarmées, le général Joseph Dunford, qui déclarait très récemment « on peut dire que nous envisageons des actions militaires contre l’ÉI en conjonction avec le processus politique » en Libye, et de rajouter que « le président a été formel : nous avons l’autorité pour utiliser la force militaire », une nouvelle campagne militaire en Libye est inexorable.
Autre signe qui ne laisse point de doute quant à l'imminence de cette deuxième guerre en Libye, le dernier discours du président tunisien, recevant les responsables des délégations diplomatiques. Lors de ce discours, il s'est ouvertement inquiété des conséquences d'une telle intervention : « Nous sommes informés que les Libyens se préparent, peut-être, à certaines interventions étrangères et à des bombardements pour lutter contre Daech. Je m’adresse, et très clairement, aux amis qui pensent à cela de ne pas penser seulement à leurs intérêts, mais aussi aux intérêts des pays limitrophes et en premier la Tunisie. Consultez-nous, parce que ce qui peut être avantageux pour vous pourrait nous porter atteinte », déclarait le président Béji Caïd Essebsi.
Cette intervention est rendue possible par la prolifération des groupes terroristes en Libye surtout Daech, qui profite du désordre et du chaos suscités par la premières intervention franco- britannique en 2011 et les échecs successifs d'une solution politique à même d'éradiquer les différentes organisations terroristes qui se sont multipliées depuis la chute de l'ancien régime. On est dans une spirale autodestructrice, celle de la guerre de tous contre tous. La Libye est aujourd'hui un véritable volcan fait de crises à rebondissement et de conflits majeurs. Par ailleurs, la fragilisation politique et l'insécurité totale ont finis par déstabiliser l'ensemble du territoire libyen, déstabilisation qui risque de s'étendre aux pays voisins, dont la Tunisie, le Tchad, l’Égypte et accessoirement l’Algérie.
Or la Libye est à la fois un passage vers l'Europe et vers le Sahara. Elle est également une zone névralgique qui centralise nombre de trafics en tête desquels le trafic des êtres humains menés par des passeurs sans scrupules proposant, contre de fortes sommes d'argent, la traversée de la Méditerranée sur des embarcations de fortune, risquant leur vie à tout moment et à la recherche d'un eldorado qui n'existe que dans leur imaginaire.
La question que se pose chaque Tunisien est de savoir quel impact, quelle conséquence directement ou indirectement sur la Tunisie ? La Tunisie craint en effet un scénario à l’irakienne ou à la syrienne et un long conflit qui risque de s'installer dans la durée, tant il est très difficile de déloger et encore moins de lutter contre le terrorisme des mouvements les plus radicalisés.
Cette intervention étrangère qui prendra vraisemblablement la forme de frappes aériennes conjuguées à des interventions au sol menées par des commandos aguerris et rompus à ce type d'exercices, aura des conséquences certaines en Tunisie. Tous le monde est d'accord pour dire que la Tunisie en payera le plus lourd tribu, surtout sur le plan sécuritaire. La Tunisie a été particulièrement touché par le chaos libyen depuis la mort de Kadhafi, notamment par l'arrivée massive de réfugiés libyens, le pays en a accueillit des dizaines de milliers fuyant leur pays en déliquescence ; et ce chiffre passera probablement à plus de 2 millions de réfugiés selon certaines estimations.
Par ailleurs la contrebande d'armes et d'autres produits prohibés, ainsi que l’infiltration de groupes terroristes, ont eu raison de la très fragile stabilité en Tunisie. Rappelons au passage que les attentats du Bardo et de Sousse, dont les conséquences sur le tourisme sont chaotiques, ont laissé des traces indélébiles attestant qu’elles ont été l’œuvre de terroristes tunisiens formés au maniement des armes en Libye. Ce scénario ne peut que se répéter et dans des proportions encore plus inquiétantes.
Le projet de construction d'une barrière de sécurité, longue de 200 km et faite de monticules de sable et de tranchés remplies d'eau, qui vient de s'achever, et qui serait équipé de matériels électroniques allemands et américains, sera-t-il un rempart ? Stoppera-t-il l'entrée des terroristes islamistes en Tunisie ? Rien n'est moins sur, tant il est vrai que le risque zéro en terrorisme n'existe pas et que par ailleurs, les terroristes ont la possibilité de contourner l'obstacle par le sud. C'est dire combien cette guerre est difficile à gagner surtout si le chaos libyen est appelé à durer, ce qui est fort probable avec les bruits de bottes annoncés. Les Tunisiens attendront avec appréhension et une dose de fatalisme les prochains jours, qui livreront tous leurs secrets sur une guerre quasi imminente, qui aura à ne point douter des conséquences désastreuse et durables en Tunisie et dans toute la région.
Il faut admettre que la guerre contre le terrorisme est une guerre assez particulière. Si Al-Qaïda s'est positionnée hier comme un acteur non étatique, cette situation contraste désormais avec le positionnement de l'EI qui est le premier mouvement islamiste à vouloir étatiser le djihadisme islamiste qui vise à étendre le champ de bataille au sein même des sociétés « ennemies », donc de rendre méconnaissable les distinctions traditionnelles liées aux champs de bataille, et aux pratiques des guerres classiques.
Par ailleurs, dans les guerres dites traditionnelles, si les États misent souvent sur une victoire extrêmement rapide, ce qui change avec ces groupes, c'est d'avoir la décision sur la durée de la guerre. Ces groupes ont pour objectif essentiel de ralentir considérablement le rythme imposé pour mener les États à une guerre d'usure, ce qui se traduit par des pertes humaines considérables. C'est le cas en Irak et en Afghanistan, en Syrie, en Libye et peut-être demain en Tunisie, par effet d'alliance et de solidarité entre différents mouvements islamistes et groupuscules terroristes.
Une autre question me semble centrale aujourd'hui pour le devenir du monde arabe. Ce sont les bouleversements majeurs que le mouvement Al-Qaïda hier et l'EI aujord’hui ont entraîné dans la théorie de la guerre juste. L'EI se déclare désormais comme « légitime » pour déclarer la guerre (décision qui, dans la théorie de la guerre juste classique ne peut revenir qu'aux États), et considère qu'il se bat pour une cause juste : l'autodéfense des musulmans contre ce qu'il nomme l'agression américaine et ce qu'il appelle les gouvernements athées et leurs serviteurs. Un autre élément qui s'impose de lui-même, qui mérite également toute notre attention, ce sont les conséquences de l'action d'Al-Qaïda sur le droit international. En effet, c'est la reconnaissance des normes par les acteurs impliqués dans un conflit qui rend les standards pertinents et acceptables par tous. Or ni les États ni les groupes transnationaux ne sont prêts à reconnaître leurs adversaires et à respecter ce même droit international.
En effet, l'ordre qui avait prévalu lors de la création du droit de la guerre qui fait de celle-ci un instrument entre les mains exclusives des États, n'est plus valable pour les guerres du 21ème siècle hélas. Partant de l'incapacité des États traditionnels de défendre et de représenter leurs populations (ce qui est malheureusement vrai pour de nombreux États du monde arabe), l'EI vise à contourner l’État et en particulier son monopole sur l'usage de la violence légitime, pour s'imposer comme unique et ultime protecteur des populations « opprimées » et abandonnées par leurs États. Ceci constitue un fait très difficilement conciliable avec le droit international.
Outre le souci réel d’une menace terroriste globale et l’objectif légitime d’éradiquer Daech, il y a aussi, derrière les raisons invoquées pour justifier une nouvelle intervention en Libye, les vastes ressources énergétiques de ce pays. Par ailleurs, les côtes libyennes accueilleront une fois de plus de nouvelles bases de l'OTAN, qui sont essentielles à l'expansion de la domination régionale des États-Unis et accessoirement ( !) de ses alliés. Jusqu’où ira cette expansion impérialiste et assisterons-nous à un déplacement de l’antagonisme américano-russe de Syrie vers le Maghreb ? Toutes les hypothèses restent d’autant plus ouvertes que le « printemps arabe » a ouvert des brèches, des conflits et des fronts que les meilleurs géopoliticiens et prospectivistes ne pouvaient imaginer il y a à peine cinq ans.
Mohamed TROUDI, Universitaire franco-tunisien, chercheur associé à l’Académie de Géopolitique de Paris et au Centre d’Analyse de la Politique Etrangère (CAPE).
La première intervention occidentale en Libye courant 2011, illustre parfaitement cette ignorance de la spécificité de ce pays tribal par excellence. En effet, à l'image de beaucoup de sociétés arabes, la sociologie libyenne est essentiellement bédouine et claniques, formée par des dizaines de tribus situées principalement dans le nord et l'est du pays. La tribu constitue le cadre dans lequel se discute les questions, juridiques, financières, sociétales et aujourd’hui politiques et militaires. Historiquement, la tribu forme l’unité de base de la population libyenne. Le nom même de Libye provient de la tribu millénaire des Libu. Ce système a survécu aux siècles et aux différents régimes politiques qu'a connus le pays, aussi bien durant la colonisation italienne (1911-1943) que pendant la monarchie d'Idris Al-Sanoussi (1951-1969), que le sous règne de Kadhafi de 1969 à 2011.
Aujourd'hui, la Libye est un pays fracturé et divisé, où les habitants se replient sur leur identité primaire, le village et la tribu. Ces tribus ont d'ailleurs joué un rôle central dans la chute de Kadhafi et serait en partie à l'origine du désordre qui règne dans ce pays martyrisé depuis plus de 4 ans. C'est le seul contre-pouvoir, hier sous la dictature du Livre vert, et aujourd'hui sous l'ère de la pseudo- révolution. L'ancien guide libyen n'a jamais cherché à effacer les assises tribales de la société libyenne, bien au contraire, il les a intégrées dans sa théorie politique dite du livre vert. Aujourd’hui, le scénario se répète puisque la Libye fait l'objet d'une deuxième intervention militaire occidentale qu'on présente comme imminente. Il serait intéressant de suivre la position des différentes tribus libyennes, notamment les Kadhafa, celle à laquelle appartient l’ex homme fort de Libye.
Je dois dire qu'il est très difficile de répondre à cette question d'une importance capitale pour la suite des opérations militaires en Libye et sur la quelle il n'est guère facile de trancher tant des divisions peuvent apparaître dans une seule et même tribu, ce qui complique davantage la donne aux libyens, aux occidentaux et à leurs voisins immédiats algériens et surtout tunisiens.
Il faut reconnaître que la première intervention étrangère en Libye a fait tellement un carton, qu'il n'est pas exclu aujourd'hui qu'un nouveau feuilleton militaire soit en préparation. Il faut dire que ces derniers temps, les vols de reconnaissance et la collecte de renseignements, rendus nécessaires par la présence de plus en plus visible de L'EI et la consolidation de leurs positions en Libye, notamment à Syrte, administrée par l'état islamique, sans compter que d'autres villes sont aujourd'hui sous forte influence de Daech notamment Misrata, Benghazi et Derna, où des responsables locaux se sont officiellement ralliés à Daech en novembre dernier.
Les risques d'une deuxième intervention militaire seront énormes, car cela signifierait à moyen terme une modification géopolitique de la carte de la région maghrébine. La question n'est plus de savoir si une deuxième opération militaire aura lieu, mais plutôt quand elle sera déclenchée. A en croire le commandant en chef de l'état-major interarmées, le général Joseph Dunford, qui déclarait très récemment « on peut dire que nous envisageons des actions militaires contre l’ÉI en conjonction avec le processus politique » en Libye, et de rajouter que « le président a été formel : nous avons l’autorité pour utiliser la force militaire », une nouvelle campagne militaire en Libye est inexorable.
Autre signe qui ne laisse point de doute quant à l'imminence de cette deuxième guerre en Libye, le dernier discours du président tunisien, recevant les responsables des délégations diplomatiques. Lors de ce discours, il s'est ouvertement inquiété des conséquences d'une telle intervention : « Nous sommes informés que les Libyens se préparent, peut-être, à certaines interventions étrangères et à des bombardements pour lutter contre Daech. Je m’adresse, et très clairement, aux amis qui pensent à cela de ne pas penser seulement à leurs intérêts, mais aussi aux intérêts des pays limitrophes et en premier la Tunisie. Consultez-nous, parce que ce qui peut être avantageux pour vous pourrait nous porter atteinte », déclarait le président Béji Caïd Essebsi.
Cette intervention est rendue possible par la prolifération des groupes terroristes en Libye surtout Daech, qui profite du désordre et du chaos suscités par la premières intervention franco- britannique en 2011 et les échecs successifs d'une solution politique à même d'éradiquer les différentes organisations terroristes qui se sont multipliées depuis la chute de l'ancien régime. On est dans une spirale autodestructrice, celle de la guerre de tous contre tous. La Libye est aujourd'hui un véritable volcan fait de crises à rebondissement et de conflits majeurs. Par ailleurs, la fragilisation politique et l'insécurité totale ont finis par déstabiliser l'ensemble du territoire libyen, déstabilisation qui risque de s'étendre aux pays voisins, dont la Tunisie, le Tchad, l’Égypte et accessoirement l’Algérie.
Or la Libye est à la fois un passage vers l'Europe et vers le Sahara. Elle est également une zone névralgique qui centralise nombre de trafics en tête desquels le trafic des êtres humains menés par des passeurs sans scrupules proposant, contre de fortes sommes d'argent, la traversée de la Méditerranée sur des embarcations de fortune, risquant leur vie à tout moment et à la recherche d'un eldorado qui n'existe que dans leur imaginaire.
La question que se pose chaque Tunisien est de savoir quel impact, quelle conséquence directement ou indirectement sur la Tunisie ? La Tunisie craint en effet un scénario à l’irakienne ou à la syrienne et un long conflit qui risque de s'installer dans la durée, tant il est très difficile de déloger et encore moins de lutter contre le terrorisme des mouvements les plus radicalisés.
Cette intervention étrangère qui prendra vraisemblablement la forme de frappes aériennes conjuguées à des interventions au sol menées par des commandos aguerris et rompus à ce type d'exercices, aura des conséquences certaines en Tunisie. Tous le monde est d'accord pour dire que la Tunisie en payera le plus lourd tribu, surtout sur le plan sécuritaire. La Tunisie a été particulièrement touché par le chaos libyen depuis la mort de Kadhafi, notamment par l'arrivée massive de réfugiés libyens, le pays en a accueillit des dizaines de milliers fuyant leur pays en déliquescence ; et ce chiffre passera probablement à plus de 2 millions de réfugiés selon certaines estimations.
Par ailleurs la contrebande d'armes et d'autres produits prohibés, ainsi que l’infiltration de groupes terroristes, ont eu raison de la très fragile stabilité en Tunisie. Rappelons au passage que les attentats du Bardo et de Sousse, dont les conséquences sur le tourisme sont chaotiques, ont laissé des traces indélébiles attestant qu’elles ont été l’œuvre de terroristes tunisiens formés au maniement des armes en Libye. Ce scénario ne peut que se répéter et dans des proportions encore plus inquiétantes.
Le projet de construction d'une barrière de sécurité, longue de 200 km et faite de monticules de sable et de tranchés remplies d'eau, qui vient de s'achever, et qui serait équipé de matériels électroniques allemands et américains, sera-t-il un rempart ? Stoppera-t-il l'entrée des terroristes islamistes en Tunisie ? Rien n'est moins sur, tant il est vrai que le risque zéro en terrorisme n'existe pas et que par ailleurs, les terroristes ont la possibilité de contourner l'obstacle par le sud. C'est dire combien cette guerre est difficile à gagner surtout si le chaos libyen est appelé à durer, ce qui est fort probable avec les bruits de bottes annoncés. Les Tunisiens attendront avec appréhension et une dose de fatalisme les prochains jours, qui livreront tous leurs secrets sur une guerre quasi imminente, qui aura à ne point douter des conséquences désastreuse et durables en Tunisie et dans toute la région.
Il faut admettre que la guerre contre le terrorisme est une guerre assez particulière. Si Al-Qaïda s'est positionnée hier comme un acteur non étatique, cette situation contraste désormais avec le positionnement de l'EI qui est le premier mouvement islamiste à vouloir étatiser le djihadisme islamiste qui vise à étendre le champ de bataille au sein même des sociétés « ennemies », donc de rendre méconnaissable les distinctions traditionnelles liées aux champs de bataille, et aux pratiques des guerres classiques.
Par ailleurs, dans les guerres dites traditionnelles, si les États misent souvent sur une victoire extrêmement rapide, ce qui change avec ces groupes, c'est d'avoir la décision sur la durée de la guerre. Ces groupes ont pour objectif essentiel de ralentir considérablement le rythme imposé pour mener les États à une guerre d'usure, ce qui se traduit par des pertes humaines considérables. C'est le cas en Irak et en Afghanistan, en Syrie, en Libye et peut-être demain en Tunisie, par effet d'alliance et de solidarité entre différents mouvements islamistes et groupuscules terroristes.
Une autre question me semble centrale aujourd'hui pour le devenir du monde arabe. Ce sont les bouleversements majeurs que le mouvement Al-Qaïda hier et l'EI aujord’hui ont entraîné dans la théorie de la guerre juste. L'EI se déclare désormais comme « légitime » pour déclarer la guerre (décision qui, dans la théorie de la guerre juste classique ne peut revenir qu'aux États), et considère qu'il se bat pour une cause juste : l'autodéfense des musulmans contre ce qu'il nomme l'agression américaine et ce qu'il appelle les gouvernements athées et leurs serviteurs. Un autre élément qui s'impose de lui-même, qui mérite également toute notre attention, ce sont les conséquences de l'action d'Al-Qaïda sur le droit international. En effet, c'est la reconnaissance des normes par les acteurs impliqués dans un conflit qui rend les standards pertinents et acceptables par tous. Or ni les États ni les groupes transnationaux ne sont prêts à reconnaître leurs adversaires et à respecter ce même droit international.
En effet, l'ordre qui avait prévalu lors de la création du droit de la guerre qui fait de celle-ci un instrument entre les mains exclusives des États, n'est plus valable pour les guerres du 21ème siècle hélas. Partant de l'incapacité des États traditionnels de défendre et de représenter leurs populations (ce qui est malheureusement vrai pour de nombreux États du monde arabe), l'EI vise à contourner l’État et en particulier son monopole sur l'usage de la violence légitime, pour s'imposer comme unique et ultime protecteur des populations « opprimées » et abandonnées par leurs États. Ceci constitue un fait très difficilement conciliable avec le droit international.
Outre le souci réel d’une menace terroriste globale et l’objectif légitime d’éradiquer Daech, il y a aussi, derrière les raisons invoquées pour justifier une nouvelle intervention en Libye, les vastes ressources énergétiques de ce pays. Par ailleurs, les côtes libyennes accueilleront une fois de plus de nouvelles bases de l'OTAN, qui sont essentielles à l'expansion de la domination régionale des États-Unis et accessoirement ( !) de ses alliés. Jusqu’où ira cette expansion impérialiste et assisterons-nous à un déplacement de l’antagonisme américano-russe de Syrie vers le Maghreb ? Toutes les hypothèses restent d’autant plus ouvertes que le « printemps arabe » a ouvert des brèches, des conflits et des fronts que les meilleurs géopoliticiens et prospectivistes ne pouvaient imaginer il y a à peine cinq ans.
Mohamed TROUDI, Universitaire franco-tunisien, chercheur associé à l’Académie de Géopolitique de Paris et au Centre d’Analyse de la Politique Etrangère (CAPE).