Tunisie Explosif : politique et magouilles, où va l’argent des Tunisiens ?


10 Novembre 2013

Caisse de dépôts et de consignations, Swicorp Syaha limited, ministère des Finances, fond islamique Theemar…une ratatouille qui ne sent pas bon et dont le goût pourrait être bien amer. Les enjeux se chiffrent à des milliards et les risques peuvent provoquer la faillite économique et financière totale et irréversible de la Tunisie. Projets bénéfiques ou arnaque ? Pourquoi la classe politique, la gouvernante comme l’opposante fait-elle preuve d’insouciance totale quant aux questions économiques, qui sont pourtant fondamentales et dont les erreurs, l’incompétence et les magouilles risquent de ruiner la Tunisie et d’hypothéquer pour des décades l’avenir des futures générations ? Pourquoi les médias, à l’exception de Leaders.com, qui couvre de sa cire médiatique le clientélisme, le népotisme et le trafic d’influence, ne s’intéressent guère au secteur névralgique de l’économie ? Enquête exclusive de Tunisie-Secret.


D’abord les différents et principaux protagonistes directs ou indirects de cette affaire : Elyès Fakhfakh, Jalloul Ayed, Jamel Belhaj, Amel Jabbari Mdini,Kamel Lazaar,Safia Hachicha, Salah Sayal, Cyrine Bach Baoueb, Ahmed Hadouej, Ahmed Abdelkhéfi, Hachemi Alaya, Lamia Ben Mahmoud, Radhi Meddeb, PDG de Comete Engineering et président de l’IPEMED, fer de lance du lobbyiste « socialiste » français, Jean Louis Guigou. Il s’agit seulement des protagonistes tunisiens et visibles !

Les institutions et entreprises impliquées directement ou indirectement : Premier ministère, ministère tunisien des Finances, la Caisse de dépôts et consignations, la Banque centrale, la Swicorp, banque d’affaires qui gère des fonds d’investissement et des portefeuilles, qui est basée en Suisse et en Arabie Saoudite, et Ennahda, bien évidemment.

Tout commence avec la naissance, en novembre 2011, de la Caisse des Dépôts et consignations, un projet déjà envisagé par le régime Ben Ali. C’est l’ancien banquier et homme d’affaires Jaloul Ayed, devenu ministre des Finances, qui a lancé la CDC, dont la vocation, comme nous allons le voir, n’est pas tout à fait celle de la Caisse des Dépôts et consignations en France. Le rôle de ce nouvel instrument consiste dans la stimulation des investissements, le soutien des entreprises et la création d’emplois. Selon un communiqué du ministère des Finances à l’époque, «la création de ce nouveau mécanisme, en cette période délicate, ne manquera pas de renouer avec le rythme de l’investissement et de lancer des signaux positifs tant vers les investisseurs tunisiens qu’étrangers». Selon Kapitalis du 19 novembre 2011, « La CDC sera chargée de la conservation et de la gestion des ressources et des titres mis à sa disposition ainsi que des ressources mobilisées en les affectant aux placements et aux investissements. Ses domaines d’intervention seront les bons de trésor ainsi que les placements garantis par l’Etat. La Caisse veillera aussi à la réalisation et à la participation aux investissements quels que soient leurs délais d’une manière directe ou indirecte ou encore dans le cadre d’un partenariat avec le secteur privé dans les domaines économiques stratégiques, notamment l’infrastructure, le développement régional, les secteurs des nouvelles technologies, de l’environnement et du développement durable ainsi que le soutien des petites et moyennes entreprises. Tout ceci sans omettre l’investissement sur les marchés financiers ».

Le ministère des Finances assurait à l’époque que la Caisse des Dépôts et consignations «sera soumise dans ses différents placements et investissements à des règles et des normes de gestion prudentielles fixées après avis du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie». Son DG, Jamel Belhaj, ancien directeur général de la dette au sein du ministère des Finances, a été nommé par décret sur proposition du Premier ministre ». Les mauvaises langues disent que c’est un nahdaoui new look. La DGA est Amel Jabbari Mdini, ancienne cadre du ministère des Finances, qui a eu une belle promotion en 2008.
  
Outre la commission de surveillance présidée par le ministre des Finances, trois comités voient le jour : un Comité permanent de contrôle et d’audit chargé essentiellement de s’assurer de l’application de la procédure de contrôle interne ; un autre comité, celui des ressources et des placements, aura à proposer la politique générale de la Caisse et de ses domaines d’intervention ; un troisième comité, celui des risques, émanant de la Commission de surveillance, sera chargé d’apporter son assistance à celle-ci et sera appelé à accomplir des attributions relatives à la gestion et à la prévision des risques, et à apporter des propositions pour la stratégie de gestion de tous les risques financiers et opérationnel.

Mais depuis 2011, cette Caisse des Dépôts et consignations fonctionne de façon assez opaque. Sur son site officiel, aucun nom ne figure. Ni celui du DG, ni celui de la DGA, ni ceux des cadres, ni ceux composants les différents comités mentionnés. Lorsqu’on clique sur « Ressources Humaines », ensuite sur « Notre équipe », on s’attend à découvrir la liste nominale de l’équipe mais, curieusement, une seule phrase s’affiche : «L'équipe CDC partage les mêmes valeurs à savoir: la transparence, l'esprit d'équipe, l'excellence, l'innovation, le respect des autres  et la confiance » !!! Pour la transparence, on ne peut pas mieux faire ! Et pour la confiance, on peut dire que c'est gagné!

Le plus inquiétant est que, lorsqu’on lit les statuts et missions de la CDC, on découvre qu’elle a un pouvoir immense, qui n’est pas très loin de celui de la Banque centrale ! Avec un pactole d’un peu plus de 4 milliards de dinars (1,95 milliard d'euros) provenant essentiellement du budget de l’Etat et de l'épargne postale, cette Caisse est considérée par ses propres dirigeants et promoteurs comme le bras financier de l’Etat et un pivot central dans la stratégie de relance économique.

Partie prenante dans quatre fonds, dont un conforme à la sacro-sainte Charia, la CDC a jusqu’à présent investi près de 50 millions d'euros, outre la cagnotte qu’elle vient de mettre dans les mains de « Swicorp Syaha Limited », dont on va parler plus bas. Contrairement donc à ses objectifs affichés, et de part la nature même de ses investissements jusqu’à présent (à l’exception du fonds « compatible » ave la Charia et baptisé « Theemar », 50 millions de dinars, censé contribuer à la création de 30 entreprises et de 1000 postes d’emplois dont on trouve d’ailleurs des participations dans City Car et Best Lease !), la CDC n’est pas du tout dans la création d’emplois et le soutien aux PME, particulièrement dans les zones défavorisées, mais dans le placement et la spéculation hasardeuse et parfois même à haut risque. Pourtant, Jamel Belhaj, le directeur de la CDC, disait : «Nous ne sommes pas une banque. Notre mission est de participer à la politique du gouvernement en matière d'emploi et de développement régional en soutenant le secteur privé » (Jeune Afrique du 10 avril 2013). De même que lorsque le Conseil de la commission de surveillance de la CDC s’est réuni en juin 2012 pour sa 2éme session sous la présidence de Houssine Dimassi, il a été question de sélectionner « trois leviers prioritaires de développement, à savoir favoriser les investissements ayant trait au développement des régions, soutenir et accompagner le développement des PME porteuses d’innovation et participer à la modernisation du marché financier tunisien » (African Manager du 7 juin 2012). Le moins qu’on puisse dire est qu’on est bien loin de ces objectifs affichés. A juste titre, Mohamed Ali Mrad va encore plus loin : « nous craignons sincèrement que la vocation de la Caisse des Dépôts et Consignations de Tunisie telle qu'elle a été structurée et d'après ce que nous avons pu constater jusqu'à présent, ne soit pas l'investissement et le développement à long terme mais que l'intention soit réellement de transférer « à bon compte » le patrimoine national à des opérateurs privés » (La Presse du 22 août 2012).  
   
La CDC a par ailleurs mis la main sur « tous » les avoirs mal acquis du clan Ben Ali confisqués par l’Etat : la Banque de Tunisie (BT, détenue à hauteur de 12,9 % par les Trabelsi), la Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT, 13 % par Marwan Mabrouk), Ennakl (60 % par El-Materi), Monoprix (26 % par Marwan Mabrouk), Orange Tunisie (51% par Marwan Mabrouk), Tunisiana (25% par El-Materi)… Sur les rapports internes de la CDC, on ne sait pas ce qu’est devenu tout l’argent obtenu des liquidations de certains de ces biens. On sait en revanche que dans le cas de Carthage Cement (15% détenu par Belhassen Trabelsi), la gestion de la cessation de 37% du capital de cette entreprise a été confiée à Swicorp, de l’affairiste tuniso-suisse Kamel Lazaar. 37%, cela représente 105 millions d’euros !

Les relations troublantes entre la CDC et Swicorp ne s’arrêtent pas là. Dans son édition du 23 mai 2013, Jeune Afrique annonçait que « D'ici à deux ou trois mois, Swicorp, déjà gestionnaire d'un portefeuille de près de 1 milliard d'euros (principalement au Maghreb et au Moyen-Orient), devrait lancer un fonds d'investissement dévolu au secteur touristique en Tunisie ». Nous sommes en mesure d'annoncer à nos lecteurs que ce fond vient d’être créer et il s’appelle « Swicorp Syaha Limited », une filiale de Swicorp Group, qui appartient à Kamel Lazaar et dont la directrice, depuis début 2012, est Safia Hachicha, ex-conseillère de Jalloul Ayed lorsqu’il était ministre des Finances ! Doté de 50 millions d’euros, ce fond FCPR a reçu une contribution de la CDC à hauteur de 30% ! Les accords ont été signés le 4 novembre dernier à Paris en présence de la DGA de la Caisse de Dépôts et consignations et de son conseiller, Bara Alaya, le fils de l’ingénieur conseil Hachemi Alaya.

Avant d’aller plus loin, posons-nous cette question : qu’est-ce que les fonds de capital-investissement ? Nathalie Mourlot, pour L’Entreprise.com répond que dans l’imaginaire du grand public et des médias : «  Ils rachètent de grosses sociétés. Leur vision, forcément court-termiste, est néfaste à l'entreprise et ces mauvais génies n'ont de cesse que de dégager le management en place, avec un seul objectif : prendre les mesures qui leur permettront de rentabiliser au mieux leur acquisition avant de la revendre... » (L’Express, 26 juin 2011).

Compte tenu de l’opacité qui entoure cette affaire, le peu qu’on sait au sujet du montage financier est que ce fond « Swicorp Syaha Limited » est scindé en deux partie : une partie on-shore dans laquelle les investisseurs Tunisiens peuvent participer, et une partie off-shore pour les participations étrangères. Ce fond est exclusivement dévolu au secteur touristique dans les zones côtières. Dès lors, les questions qui nous interpellent sont les suivantes : pourquoi maintenant et pourquoi dans le tourisme ? Est-il judicieux et économiquement profitable à la Tunisie d’investir de telles sommes dans un secteur sinistré, dont les meilleurs prospectivistes ne voient pas encore l’avenir à moyen et long terme, compte tenu de l’instabilité politique et sécuritaire du pays ? Pourquoi cette partie off-shore ? Pourquoi Swicorp précisément ? Qui contrôlera tout ce flux d’argent ? Quelles sont les connexions et les liens entre Jalloul Ayed et Kamel Lazaar ? Et entre la Banque centrale, la CDC et Swicorp?

Selon Safia Hachicha, qui est chargée de réaliser la levée de fonds pour Swicorp Syaha Limited, ce projet a valeur de test ! « Le tourisme est l'un des piliers de l'économie nationale. Investir au creux de la vague permettra de mitiger les risques inhérents au secteur par des valorisations attractives », expliquait-t-elle (Jeune Afrique 23 mai 2013). Seul problème symptomatique, ce produit financier dans lequel la CDC, c’est-à-dire l’Etat tunisien, s’est empressée d’investir à ses risques et périls, n’attire pas les opérateurs privés, selon le demi-aveu de Safia Hachicha, qui compte beaucoup plus sur d’autres bailleurs de fonds comme la Banque mondiale ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Comme le dit si bien Safia Hachicha (voir l’article suivant que lui consacre Lilia Ben Rejeb) ce projet a valeur de test, sauf que ce test risque de coûter très cher aux Tunisiens !
  
Selon nous, il y a en effet un énorme risque pour la Tunisie de connaitre le sort de la Grèce, qui a été ruinée par les banques et par l’aventurisme et la mauvaise gestion de ses gouvernants. Avec la différence que la Tunisie ne trouvera pas l’Europe pour remédier à sa faillite, comme c’est le cas encore aujourd’hui de la Grèce. En outre, ce fonds, qui est en réalité un produit financier, pourrait être un excellent moyen de fuite des capitaux, d'où la recherche d'obtention d'une autorisation du CMF (Conseil du Marché Financier), ce conseil qui, depuis l'arrivée du nahdhaoui salah Sayel, qui est pourtant un initié, délivre des autorisations tous azimuts.

Bonne gestion économique et affairisme n’ont jamais fait bon ménage. C’est le cas de la relation plus que troublante entre Jalloul Ayed et Kamel Lazaar qui, dès 2011 a dépêché Safia Hachicha auprès du ministère des Finances, qui était alors dirigé par l’affairiste et ex-banquier, Jalloul Ayed. Comme elle l’a déclaré elle-même, « Après le départ de Ben Ali, je me suis portée volontaire auprès du gouvernement provisoire, et en une semaine j'ai été recrutée, avec la bénédiction de Swicorp pour qui je travaillais depuis 2005 » (Jeune Afrique du 23 mai 2011). On ne peut être plus clair ! En revanche, tout est clair dans l'ambition de Jalloul Ayed, ainsi d'ailleurs que Mustapha Kamel Nabli, de prendre le contrôle du Premier ministère. Posez-vous la questions sur les partis tunisiens et les milieux financiers étrangers qui soutiennent leurs candidatures Posez-vous la question sur les banquiers ou affairistes qui sont parvenus au pouvoir en Grèce, en Espagne ou en Italie, et qui sont responsables du désastre économique, financier et social dans leurs pays. Ils ont tous en commun d'avoir travaillé pour Goldman Sachs!!! Voir à ce sujet l'article de Marc Roche, publié dans Le Monde le 14 novembre 2011.  

Il faut rappeler que le fondateur de la Caisse de Dépôts et Consignation, Ahmed Hadouej, malgré le contrat qui le lier à la CDC après son départ à la retraite en septembre 2012, a farouchement lutté pour ne pas autoriser ces jeux de passe-passe. Il a du quitter en mars 2013 sous la pression du directeur général de la CDC, Jamel Belhaj, et sa DGA, Amel Jabbari Mdini, qui sont sous l’influence pernicieuse des vautours financiers et à leur tête Ahmed Abdelkéfi  et Jalloul Ayed, tous deux membres « indépendants » nommés par le DG à la commission de surveillance de la CDC. Plusieurs membres de cette commission siègent d'ailleurs au Conseil d'administration de la Banque centrale !

La conclusion, on la laisse à Mohamed Ali Mrad : « La CDC pourrait jouer le rôle du cheval de Troie d'une grande entreprise de confiscation et de braderie du patrimoine national à travers des privatisations au seul profit d'acteurs privés tunisiens et étrangers…Ceci représente selon nous le risque que le patrimoine national soit en fin de compte géré par des opérateurs privés motivés par leur seule cupidité sans oublier le risque de conflit d'intérêt indéniable et de transferts de commissions injustifiés… D'aucuns d'imaginer alors que les biens en question (biens saisis par l’Etat) ont déjà été ou sont en train d'être cédés à la CDC ou la holding qui la représente à des prix « cassés » au détriment des intérêts de l'Etat…Cela va commencer dans un premier temps par les biens confisqués. Ensuite, ce qui risque bien de se passer est que progressivement la totalité du patrimoine national soit transféré à la CDC et à ses filiales dans des conditions très désavantageuses pour l'Etat. Libre ensuite à la CDC de céder ces biens à des opérateurs privés dans des conditions opaques de gré à gré et a des conditions de prix très discutables » (La Presse du 22 août 2012).

Petit clin d’œil pour finir. En avril 2011, dans l’affaire de la Banque d’Algérie/Swicorp, le Conseil de la monnaie et du crédit (Banque d’Algérie) a autorisé la constitution de la Spa ''Ijar leasing Algérie'' en qualité d'établissement financier mais a écarté l’un des trois actionnaires fondateurs de cette société de leasing, à savoir la banque d’investissement Swicorp. L'information a été révélée par Maghreb Emergent, le 1er avril 2011 et reprise par Algéria-Watch. On vous laisse deviner les raisons pour lesquelles les autorités algériennes ont exclu Swicorp ! TunisieSecret

Karim Zmerli

Tunisie-Secret remercie Minouche Kattous, pseudonyme dont on a une idée sur l’identité et les motivations, d’avoir attiré notre attention sur cette grave affaire.

Il ne reste plus rien des 1,6 milliard de dollars récupérés de la vente de Tunisie-Télécom. C’est ce qu’a déclaré Jamel Belhaj. Suite à la remarquable enquête de Karim Zmerli, radio Express FM a invité ce lundi le directeur général de la Caisse des...