Coincée entre l'Algérie et la Libye, la Tunisie partage pas moins de 350 km de frontière avec son voisin algérien, elle a constamment cherché à entretenir de bonnes relations de voisinage en dépit des différentes tensions qui ont secouées les rapports entre les deux pays. Il faut dire que les les peuples de la région aspirent à une meilleure intégration de la région dans un monde mondialisé où les États seuls ne font plus le poids face à la déferlante de la globalisation. Cette réalité était vrai hier, elle l'est davantage aujourd'hui.
« Le plus difficile au monde est de dire en y pensant ce que tout le monde dit sans penser » Alain (1)
« la phase bourgeoise dans l'histoire des pays sous développés est une phase inutile. Quand cette caste sera anéantie, dévorée par ses propres contradictions, on s'apercevra qu'il ne s'est rien passé depuis l'indépendance, qu'il faut tout reprendre, qu'il faut repartir à zéro » Frantz FANON les Damés de la terre (2)
« Le Maghreb a un passé glorieux. Il n'est pas né de rien. Les peuples historient leur présent en dynamisant le passé d'hier et d'avant hier » Jacques BERQUE, le Maghreb entre deux guerres (3)
une Histoire maghrébine tourmentée
Il serait opportun de s'arrêter sur cette aspiration historique des peuples de la région à l'union notamment entre Algériens et Tunisiens. Il n' y a qu'à revenir sur l'épisode riche en enseignement de la Révolution algérienne du 1er novembre 1954 et plus exactement sur le sentiment et l'impact du soutien dont a témoigné le peuple tunisien à son frère algérien avec qui il partage une même géographie, une histoire, une langue et une religion commune, pour s'en rendre compte des liens profonds existants entre ces deux pays.
Contrairement à ce qui est a été écrit et dit ici et là , le soutien de Bourguiba à l'Algérie dans sa guerre pour l'indépendance, procédait d'une profonde conviction qu'une Algérie libre et indépendante était nécessaire à la construction d'un Maghreb arabe, idée défendue à l'époque par son rival Salah Ben Youssef, qui voulait en faire sa propre cause. Cette relation très étroite entre l'Algérie et la Tunisie s'est affirmée également lorsqu’il a fallu défendre l'identité maghrébine, menacée par la colonisation dite de “comptoir” que la France a durement appliquée en Algérie pour gommer toute trace d'appartenance arabo-musulmane de ce pays depuis 1830. Cette politique de déracinement a atteint des proportions inquiétantes et quasi irréversibles avec le déclenchement de la révolution algérienne . Nombreux sont les Algériens qui sont partis apprendre en Tunisie l'arabe et le Coran (citons à titre d'exemple l'ancien président Houari Boumediène, élève de la Zaitouna) ou encore à Fez et en Égypte.
Certes, la signature des protocoles d’indépendance de la Tunisie et du Maroc en 1956 a été considérée comme une trahison par les nationalistes algériens. En effet, le slogan de l'époque était oui à un Maghreb indépendant, oui à une solidarité maghrébine face à l'ennemi commun à savoir le colonisateur français, idée alors largement défendue par Salah ben Youssef que Bourguiba va reprendre à son compte dans la guerre politique interne qui l'opposait à son rival de l'époque . Mais trèsvite, l'indépendance tunisienne va permettre à la Tunisie de devenir la base arrière de la révolution algérienne et à moindre mesure le Maroc, tout deux libérés du joug colonial. Mettant en avant la Convention de Genève, la Tunisie apporte un soutien sans faille à la fois sur le plan politique et en terme d'aide logistique pendant la période allant de 1956 à 1962. Le soutien tunisien à la cause algérienne prendra progressivement de l'ampleur à mesure que la France durcissait sa répression contre les combattants algériens.
Les 350 km de frontière entre les deux pays sont devenus un véritable casse tête au colonisateur français, étant en effet très perméable et rendant très difficile le contrôle de la contrebande et les échanges divers. Elle est devenue très rapidement un excellent refuge pour les combattants algériens et un point de harcèlement des troupes françaises et des colons français proches de la frontière tuniso-algérienne. Cette situation pour le moins difficile à cerner pour la France, poussera à l'édification des lignes “Challe et Morice” (4) le long de la frontière tuniso-algérienne avec du barbelés électrifié, des sentinelles et des patrouilles mobiles et fixes, avec pour but d'empêcher autant que faire se peut le soutien tunisien et de porter un coup à la mobilité des combattants algériens qui harcelaient à la fois soldats et colons français. En dépit de la répression française, la Tunisie devenait le point de départ et de retour des opérations militaires de l’ALN “ Armée de Libération Nationale” à l’intérieur du territoire algérien. Le point culminant des accusations réciproques à la fois d’entrée en Tunisie (territoire souverain) par les troupes françaises et de l’autre l’abri offert aux rebelles qui «tuent des Français» culmina par le carnage du 8 février 1958 (bombardement de Sakiet Sidi Youssef), événement annuellement célébré dans le village martyre qui symbolise la fraternité algéro-tunisienne.
Il n’est pas exagéré de dire que beaucoup de Tunisiens étaient prêts à prendre les armes et à se battre avec les Algériens, même si cela risquait de compromettre l’indépendance fraîchement acquise au prix de nombreux sacrifices et qui à un moment donné, a failli tourner à la guerre civile (conflit Bourguiba-Ben Youssef). Ce qui est certain, c'est que les Tunisiens pensaient à juste titre qu'il était plus productif d'aider leurs frères algériens en étant indépendant . Cette question a été tranchée au sein du Destour , même si Ben Youssef et ses partisans avaient pour leur part posé la question de l'indépendance du Maghreb central, ce qui aurait des conséquences fâcheuses sur l'obtention de l'autonomie et plus généralement sur l'indépendance de la Tunisie. Malgré tout, les Tunisiens sont restés solidaires avec la Révolution algérienne, point d'orgue de l’indépendance de tout le territoire nord-africain ; c’est une nécessité absolue en dépit de l’obstination des dirigeants français et les tenants de l’Algérie française à anéantir le mouvement nationaliste algérien.
Une fois l’indépendance tunisienne acquise, la Tunisie affirmera officiellement son appui indéfectible à la Révolution algérienne. Les marques de soutien à la cause et au combat du peuple algérien avec ses représentants légitimes (FLN, ALN, GPRA, Front de Libération Nationale, Armée de Libération Nationale, Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) étaient inépuisables, au point de compromettre ses relations avec la France. Dans tous les discours de Bourguiba, même celui prononcé dans la déclaration de la République, l’Algérie était omniprésente et sa cause longuement plaidée avec courage et obstination.
Fort de ses acquis et assises après avoir mis fin au mouvement yousséfiste, Bourguiba s’est engagé pleinement à défendre la cause algérienne. En dépit du ralliement de nombreux Algériens au mouvement yousséfiste, et qui prirent une part active dans de nombreux incidents les opposant au Destour, Bourguiba tint à ne pas leur en tenir rigueur afin de ne pas nuire aux relations avec les chefs politiques et militaires algériens ; il fallait ménager l’avenir pensait-il. Toujours est-il que Bourguiba insista auprès des autorités françaises pour régler le problème algérien par voie de négociation en affirmant que si la France tenait à une coopération libre avec le Maghreb il fallait faire entrer l’Algérie dans le cercle des pays indépendants ; seulement à ce prix le Maghreb renouerait des relations bilatérales solides et durables avec l’ex colonisateur, affirmait Bourguiba
soutien moral et la participation active de nombreux Tunisiens dans le combat que menaient les Algériens étaient de tous les instants. Au delà des villages frontaliers tunisiens qui servaient de zone tampon pour les opérations de l’ALN, la capitale Tunis constituait l’épicentre politique du FLN et du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne), reconnus et accueillis en grande pompe par Bourguiba lui-même à Tunis en 1958. Le Conseil National de La Révolution Algérienne (CNRA) tint sa première réunion à Tunis. Certains endroits à Tunis étaient largement connus comme étant le QG des Algériens : l’actuelle rue Mongi Slim, le Colisée, le Palmarium pour n'en citer que ces places là. Ce soutien qui s’exerçait au nom de la liberté d'expression, était un moyen habile de pousser la France aux négociations ce qui permettra à Bourguiba de jouer les bons offices
Quelques lieux et des actions fortes menées par les Algériens en Tunisie témoignent de leur présence et démontrent le soutien inconditionnel du peuple tunisien, on peut citer à titre d'exemple:
- le journal El Moudjahid, organe du FLN, fut publié en Tunisie le 5 août 1957 soit deux semaines après la naissance de la République Tunisienne;
- le 8 février 1957 ; après avoir déserté la France, les joueurs de l'équipe nationale, ont finis par rejoindre la Tunisie, où ils avaient jouer représentant ainsi l'Algérie à travers le territoire tunisien ;
- les membres du FLN, du GPRA, du CNRA avaient fréquemment leurs bases en Tunisie et accessoirement en Égypte; c'est ainsi que des membres influents du FLN, donnaient les mots d'ordre d'opérations directement de Tunisie , je pense à Ben Bella, ou encore à Boumediène,
- «Radio Tunis» consacrait une émission chronique «Échos de l’Algérie libre» et l’émission continua en dépit de véhémentes protestations françaises.. D'ailleurs nombreux étaient les Tunisiens qui figuraient parmi les victimes de la répression française pendant la guerre d'indépendance algérienne.
L'exemple le plus mémorable reste sans la moindre contestation, les événements douloureux survenus le 8 février 1958 à Sakiet Sidi Youssef au cours desquels s'est mêlé le sang des Tunisiens à celui des Algériens dans leur combat commun contre l'occupant au nom de la dignité et le droit des peuples de disposer d'eux mêmes. En mémoire des sacrifices consentis par les deux peuples, et pour mieux inscrire le destin des deux nations dans les annales de l'histoire, un musée de la mémoire commune tuniso-algérienne a été créé à Ghardimaou, ville frontalière symbole de l'engagement tunisien au côté du peuple algérien.
Cet exemple d'engagement mémorable de la Tunisie au côté du voisin algérien, montre combien les peuples du Maghreb aspirent légitimement à l'unité, car c'est une réalité à la fois psychologique et historique ancrée dans leur mémoire collective en dépit des rivalités internes et de modèles politiques généralement très antagonistes, suivis après les indépendances. Les pays du Maghreb partagent en effet certains traits communs, le plus important est certainement l'histoire maghrébine largement partagée, qui s'exprime par cette volonté farouche de préserver leur identité commune face aux assauts de différents conquérants étrangers notamment Vandales, Byzantins, Romains et bien évidemment occidentaux..Même la Tunisie , pays le plus méditerranéen des États maghrébins par la longueur de sa façade maritime, le plus ouvert aux influences étrangères en raison de sa faible profondeur terrestre, a su habilement sauvegarder sa personnalité arabo-musulmane. Ces peuples formant depuis 1989, l'UMA (5) n'ont cessé d'affirmer leur identité tant par rapport au Machrek, point de départ de l'islamisation du Maghreb que par rapport à l'Europe voisine, leur principal partenaire économique. On estime en effet aujourd'hui à plus de 60% le taux de commerce maghrébin avec l'Europe occidentale.
Néanmoins pour réaliser cette ambition unitaire somme toute très ancienne, il faut que s'épanouisse dans les esprits une attitude unificatrice à l'échelle du grand Maghreb. Or le constat aujourd'hui est sans appel de l'état d'effritement et de division que traverse la région maghrébine au moment où les grands ensembles s'organisent et les interdépendances entre les peuples est aujourd'hui une réalité de notre monde, désormais tourné vers la mondialisation et le rapprochement entre les nations et les peuples. Je veux relever ici le paradoxe entre le discours politique à proprement parler, qui n'a cessé de prêcher l'unité, et le comportement de ce mes mêmes politiques maghrébins qui ont cherché depuis les indépendances à construire et consolider des régimes plutôt des que des États modernes et démocratiques.
Il faut rappeler que l'unité maghrébine n'a été réalisée qu'a deux reprises dans le passé et sous des royaumes berbères. D'abord dans l'antiquité avec Messinissa ( 238-148 avant J.C) qui tenta de soumettre à une autorité unique, l'ensemble du Maghreb au nom de la Doctrine « l'Afrique aux africains », puis une deuxième fois sous l'ère islamique pendant le règne des Almohades (1147-1269). Certains sceptiques pensent non sans raison que le lancement de l'UMA n'est qu'un rêve ancien entretenu par la nostalgie d'un passé glorieux, d'autres encore plus pessimistes pensent que ce rêve unitaire n'est qu'un slogan commode aux mains des chefs d’états maghrébins en mal de projets mobilisateurs. Or il me semble qu'historiquement le grand Maghreb n'est pas qu'une simple juxtaposition d’États voisins que tout sépare, politiquement économiquement et d'un point de vue de vision et de stratégie politique des uns et des autres.
En effet si on pousse l'analyse plus loin, on peut constater qu'il existe dans l'évolution des États concernés des convergences qui laissent entrevoir une homogénéisation des diverses composantes de la région. Rien que sur le plan économique, on peut noter de réelles complémentarités qui forment un facteur de choix dans la perspective d'une intégration économique totale entre les États de la région. Ces éléments que je désigne par les facteurs unitaires que sont essentiellement l'histoire, la langue et la civilisation commune, ne doivent pas cependant occulter les problèmes de fond auxquels sont confrontés les États maghrébins, notamment la politisation à outrance de la religion perceptible aujourd'hui à travers la dialectique des rapports au sein du champ politico-religieux que le dernier printemps maghrébin a fait éclater au grand jour.
L’islamisation rampante, un frein à l'intégration maghrébine
Au delà de la terminologie ou la sémantique de la formule, il s'agit ici d'appréhender avec des mots l'essence d'un phénomène multiforme et inattendu qui se pose aujourd'hui avec acuité à nos sociétés maghrébines, printemps arabes aidant. Inattendu, car rien ne prédisposait les paisibles musulmans tunisiens , algériens ou marocains à se muer en virulents islamistes, capables des pires atrocités, comme l'a montré hélas la décennie noire en Algérie. Il est par conséquent utile de ne pas minimiser ce phénomène dans l'étude des relations tuniso algériennes sans pour autant le surévaluer, même s'il est vrai qu'il est difficile de l'appréhender à sa jutes valeur. On est en droit de se demander pourquoi la religion est devenue une valeur refuge pour certains groupes accrochés au repli identitaire et au retour aux sources primaires de l'islam comme seuls projets politiques et économiques, alors qu'en même temps le monde se globalise de telle manière qu'il est devenu un petit village planétaire, balayant d'un revers de la main la notion des frontières et la conception dépassée de l'état nation.
L’islamisation rampante des sociétés maghrébines s'explique surtout par des raisons internes, liées essentiellement à l'antagonisme politique, qui tire ses origines des systèmes politiques mis en place aux indépendances des divers pays maghrébins, aggravant ainsi une situation rendue très difficile par les différents débordements sociaux qu'ont connus ces États. Les divergences des intérêts et des conceptions de l'unité maghrébine des élites dirigeantes en matière de coopération en sont responsables du retard quasi irrattrapable en matière de coopération. Il faut distinguer ici deux axes majeurs; un que j'appellerai l'axe fermé algérien qui considère l'union maghrébine comme une optique strictement arabe. Il s’appuie sur l'intégration des économies maghrébines par la production , dans le but de la soustraire à la dépendance, à l'extraversion, en somme l'insérer dans une stratégie de coopération sud-sud. L'autre axe, celui tuniso-marocain qui associe davantage le Maghreb à l'Europe.
L’Algérie et la Tunisie, un destin commun occulté par des approches idéologiques différentes
Si l'on jette un regard intéressé à l'arrière plan historique, l'on s'aperçoit que l'historie maghrébine a été un mouvement permanent pour l'unité, il peut être perçu à plusieurs époque ayant chacune ses caractéristiques propres avec des tentatives de l'intérieur et d'autres de l'extérieur : l'unification à partir de l'Est, dite tentative fatimide et ziride, l'unification à partir de l'ouest, la tentative almoravide et almohade, la période de la présence ottomane dans le Maghreb septentrional, divisé en trois régences, Tunis, Alger et Tripoli, la période de la lutte anti-coloniale pour l'indépendance et enfin la période de la clarification des rapports à la fois avec l'ancienne métropole et entre les États maghrébins eux mêmes. C'est la phase que j'ai qualifié de ré- identification. Ce sont les deux dernières périodes de l'histoire contemporaine du Maghreb central et principalement celle de la ré-identification et bien évidemment la période actuelle, qui me serviront d'angle d'étude des relations tuniso-algériennes
Si le règne ottoman a longtemps favorisé l'unité maghrébine par la défense de la religiosité maghrébine et le placement du pouvoir sous une seule et même autorité, celle du calife, son déclin a logiquement ouvert le champ à l'implantation coloniale. L'unité du combat pour la libération a été un solide ciment de l'unité de la région. De tout le Maghreb, l'Algérie a connu assurément un sort le plus marqué par l'emprise coloniale y compris au plan institutionnel en devenant un département français, par conséquent transformée en colonie de peuplement. La politique de division, menée par le colonisateur français, a contribué à faire sortir le mouvement nationaliste sur le terrain de la lutte, favorisant ainsi le rapprochement puis la solidarité entre les populations que la France voulait paradoxalement diviser. Apparaissent alors plusieurs mouvements qui allaient servir d'aiguillon à cet élan libérateur, tel le mouvement des jeunes tunisiens en 1907, des jeunes algériens en 1914 ou encore le mouvement des jeunes marocains en 1919. En 1945, un comité pour l'indépendance de la Tunisie et l'Algérie a même lancé à Genève, l'idée d'une république nord-africaine, suit par la suite la naissance de la revue Maghreb, qui pose carrément la question de l'indépendance.
Entre 1920-1947, deuxième étape plus affirmée des relations maghrébines, avec la formation des mouvements de libération nationale: il s'agit du Destour tunisien en 1920 d’où sortira le Néo-destour en 1934, puis l'Etoile-nord-africaine en 1926 qui est à l'origine du PPA, le parti du peuple algérien, et enfin l'Istiqlal marocain en 1943. En 1948, on assiste à la troisième étape du réveil politique maghrébin, c'est l'étape la plus structurée sous la présence française, puisqu'elle marque l'entrée en action du Comité de libération du Maghreb. La solidarité tuniso algérienne était totale, solidarité qui va jusqu'à la formation d'un comité tuniso algérien qui se distinguera en adressant un mémoire au congrès de la paix à Versailles, dans lequel il énumère les revendications des deux pays et décrivait la vie si prospère avant la colonisation. Le mémoire souligne: « le peuple algéro-tunisien revendique son indépendance complète. Il en appelle à la conscience universelle pour lui reconnaître son droit à disposer librement de son sort, et saisissait de ses reevendications légitimes le congrès de la paix.....pour examiner la carte du monde et formuler les principes nouveaux pour la garantie des droits de l'homme et des peuples (6). Néanmoins cette volonté de bâtir une unité maghrébine, s'est davantage affirmée en opposition aux puissances coloniales, au rejet de la domination étrangère qu'en s'imposant comme un projet autonome et concret. L'accession à l'indépendance des différents pays maghrébins aura raison de l'idée maghrébine avec l'apparition des divisions chroniques ,mettant le maghrébisme à rude épreuve dont il aura beaucoup de difficulté à se relever encore aujourd'hui.
En dépit de multiples alliances passées entre les différents acteurs maghrébins notamment le traité de fraternité et de concorde entre l’Algérie et la Tunisie signé en 1983, le traité de Oujda entre le Maroc et la Libye ou encore le traité de Djerba entre cette dernière et la Tunisie, signé en 1974, vite dénoncé par le premier ministre de Bourguiba Hédi Nouira, il est désormais acquis que tout rapprochement entre l'un ou l'autre des partenaires maghrébins, qui change d'ailleurs au gré de la conjoncture régionale, internationale et des intérêts nationaux foncièrement divergents, provoque aussitôt la suspicion et la méfiance réciproque. Les relations tuniso algériennes n'échappent malheureusement pas à cette règle. En d'autres termes les relations entre ces pays se posent davantage en terme idéologique et beaucoup moins en termes de nécessité de rapprochement sérieux que dicte par ailleurs la réalité de notre monde, tourné vers la constitutions des ensembles régionaux. Or il est acquis que les unions dites idéologiques favorisent très souvent pour ne pas dire toujours la prééminence des sommets au détriment de la base. L'on assiste depuis à l'unification d'appareils au pouvoir en perte de légitimité et rarement, voire jamais la chance d'unir réellement les peuples. Le Maghreb et plus largement le monde arabe présente des exemples éloquents de cette distorsion entre la volonté des peuples et l'action des politiques. Dans ce cas, parler de Grand Maghreb est un paradoxe; en ce sens qu'il ne présente aujourd’hui qu'un ensemble effrité, en somme le Maghreb bouge sans avancer.
Pour bien comprendre les difficultés des relations maghrébines notamment tuniso- algérienne qui nous intéresse ici, du moins d'un point de vue strictement idéologique, il faut revenir à l'origine des fondements de l'approche algérienne de l'unité maghrébine. Cette approche s'oppose d'abord à l'approche ouverte tuniso marocaine que j'ai rappelé plus haut, tendant à ouvrir le grand Maghreb sur le monde et principalement sur l'Europe, elle s'appuie par conséquent sur une optique régionale, euro-maghrébine et euro-arabe, alors que la conception algérienne de l'unité du Maghreb s'appuie essentiellement sur une optique arabe.
En effet, l'élite algérienne (c'était vrai hier et c'est encore le cas aujourd'hui), possède des intérêts stables et de longue durée, motivées politiquement et économiquement par une collaboration croissante entre les acteurs maghrébins. Ils reflètent aussi bien l'intérêt des cercles dirigeants d'assurer des relations de bon voisinage pour pérenniser le pouvoir intérieur et promouvoir la voie du développement national, que les tentatives de consolider un rôle dirigeant, revendiqué par l’Algérie par rapport aux autres partenaires de la région. Ces efforts algériens portés par l'approche typiquement algérienne de l'unité maghrébine, visent à obtenir par une coopération sus-sud, le renforcement de la position algérienne tant sur le plan de l'échiquier régional que par rapport à l'Europe et principalement vis-à-vis de la France.
Cette approche algérienne de l'unité maghrébine a connue son apogée sous la présidence de l'ancien président Houari Boumediène ( 1965-1978). En effet, sous son empoigne, un développement de la collaboration a été envisagé entre les États qui garderaient néanmoins intacte leur souveraineté tout en soulignant la nécessité de créer progressivement les conditions notamment dans le domaine social et économique, conduisant à la réalisation d'un Maghreb des peuples, source de toute légitimité d'union maghrébine. Ce rapprochement dexite la position algérienne doit coïncider impérativement avec « la libération des masses exploitées » et après la réalisation des «transformations profondes dans les structures des pays du Maghreb », ce n'est qu'à ces conditions que se réalisera l'unité du Maghreb d'après l'approche algérienne.Très rapidement cette vision du grand Maghreb a été ressentie par les pays voisins comme une tentative d'exporter le modèle de développement algérien, même si des modifications ont été apportées à cette approche tant sous le la présidence de Chadli Benjedid , de Zeroual et de Bouetflika, donnant davantage d'importance à la différences des systèmes politiques et idéologiques des pays concernés.
Il en ressort qu'encore aujourd'hui, l'unité maghrébine est restée quelque peu statique. Elle n'a pas réalisée la transformation mentale indispensable et du coup, le processus prend du temps, l'éclatement de ce désert arabe qu'on appelle à tort « printemps » complique davantage la tâche et renvoi l'unité maghrébine à plus tard comme en témoigne les relations complexes entre les États concernés depuis maintenant plus de deux ans et les relations tuniso-algériennes n'échappent malheureusement pas à ce triste constat.
Des quatres principes essentiels décrits ci dessus, la démocratie demeure aujourd'hui la clé et la solution pour de meilleures relations de voisinage, voire un moyen de consolider les complémentarités existantes entre les différents peuples de la région et notamment entre Tunisiens et Algériens. A vrai dire, la démocratie est pour le Maghreb à la fois une fin et un moyen. Une fin en ce sens que le Maghreb doit être nécessairement égalitaire, équilibré, décentralisé et respectueux des particularités. C'est également un moyen car ce n'est que par les méthodes et le combat démocratique que les peuples de la région pourront exercer des pressions fortes sur les régimes pour les amener à se rapprocher et à s'entendre pour l'intérêt commun de la région.
En effet, le Maghreb ne se fera que le jour où les peuples se mobiliseront pour imposer aux dirigeants la seule politique possible, un fédéralisme respectueux des aspirations des peuples. Cela nous conduit à la question centrale selon laquelle une véritable démocratie ne peut se résumer à un système dans lequel un homme ou une poignée d'hommes se réclamant des suffrages. Elle est la création d'un type nouveau d'organisation où le pouvoir s'émane d'en bas et les initiatives se fédèrent pour aboutir à une solide coordination permettant le partage des informations et des expérimentations sociales; en somme, il faudrait que les" vivants appellent à éveiller les morts" pour reprendre l'expression de Roger Garaudy. Mais le fédéralisme n'est nullement la solution définitive aux maux de la région, il ne peut qu'organiser efficacement des sociétés divisées, mal gérées dont les récentes révolutions arabes ont davantage exacerbées le sentiment national voire la division et la peur de l'autre comme étant porteur de source de déstabilisation potentielle.
Ce pourquoi, il apparaît de plus en plus à la lumière des autres expériences menées par d'autres nations, que dans le cadre d'un système fédéré, les querelles des régimes, de prestige et les divergences idéologiques finissent toujours par s'estomper et finiront par définitivement disparaître graduellement avec les générations futures. A ce titre, dans un système entièrement fédéré, l'Algérie apprendra par exemple à mieux vivre avec son imposant voisin marocain, et tunisien, mais également à vivre mieux avec ses minorités intérieures une fois les tensions internes et régionales définitivement apaisées. En somme, si l'union fait la force, il faut aux Maghrébins un minimum de force pour faire l'union. Le Maghreb sera pour reprendre l'expression de Brugmans "fédéral dans la structure de ses pouvoirs ou bien il échouera, ce qui est trop possible".
L'Algérie avec son pétrole et son gaz, la Libye avec son or noir, le Maroc avec son phosphate, ses millions d'habitants et sa terre fertile, la Tunisie avec son phosphate, ses cadres et ses techniciens plutôt bien formés et sa réputation de "grenier de Rome", n’arrivent toujours pas à s'imposer en tant que partenaires influent et respectés. A défaut d'unir leurs efforts, ils sont encore aujourd'hui condamnés à avoir une économie extravertie, à être l'allié privilégié de telle ou telle puissance pour ne pas dire satellite. C'est dire combien il est insuffisant de parler de printemps arabes ou de soulèvement populaire, transformés depuis en hiver pluvieux, voire en tornade qui est en voie d'emporter avec elle ce qui reste des bases étatiques et de sociétés civiles dans ces pays.
Une forme primaire de fédéralisme, plutôt que l'état de division de la région que le prétendu « printemps tunisien » a accéléré
C'est justement ici que se trouve la limite essentielle du grand Maghreb arabe, qui s'explique par l'antagonisme et l'état d'effritement du projet unitaire maghrébin. Face à cette situation qui a longtemps perduré, le passage vers une forme primaire de fédéralisme par conséquent souple, me semble constituer une sérieuse piste explorable, pouvant permettre à un Maghreb politiquement unifié, économiquement intégré, de se développer donnant à cette région divisée la force d'entreprendre. Cette vision fédéraliste n'est pas en elle même une solution miracle, mais un moyen susceptible de résoudre des problèmes longtemps occultés, que j'avais montré du doigts déjà en 1997, dans mon travail de thèse portant sur les limites de l'intégration maghrébines au travers de l’étude des différentes tentatives d'unification, de leur limite et des perspectives. Je rappelle que cette solution fédéraliste est en harmonie avec les réalités des différents pays maghrébins, comme l'a rappelé à juste titre, une des résolutions de la conférence de Tanger tenue en 1958, qui considérait déjà le fédéralisme comme celui qui répond le mieux aux réalités des pays maghrébins.
Ce fédéralisme doit répondre à quatre principes essentielles: d'abord l'égalité qui face à un centralisme hégémonique d'un ou plusieurs États membres, défend le droit élémentaire d'égalité et renforce la solidarité mutuelle face aux tentations séparatistes. Le deuxième principe celui de la diversité autour duquel s'articule l'unité maghrébine. Il se résume à la préférence accordée à la coexistence plutôt qu'à l'assimilation forcée, de telle sorte que la vie publique devient pour reprendre l'expression de Robert Schumann « une recherche en commun ». De cette manière, et ce sera le troisième principe directeur de ce fédéralisme, la méfiance réciproque et la crainte de domination de part et d'autre, cèdent très vite le pas à l'entente mutuelle, garante de la dignité, la sécurité et les intérêts de chaque État dans un ensemble maghrébin. Le quatrième principe qui est un complément indispensable des trois premiers, à savoir la démocratie qui est à la fois un moyen et une fin en soi. En somme une fédération ne se réalise pas d'emblée, elle se fait pour reprendre la formule de Senghor « par mûrissement intérieur comme le fruit ».
Or, 23 ans après le lancement de ce grand projet de l'union du Maghreb arabe, le fruit maghrébin tarde à mûrir de l'intérieur et les objectifs fixés par le traité de Oujda instituant l'UMA en 1989, n'ont trouvé aujourd'hui qu'une relative réalisation, qui n'est pas du tout à la hauteur des aspirations profondes des peuples de la région. L'antagonisme politique demeure, ainsi qu'une vision politique irrationnelle. Or, il faudrait redéfinir en toute priorité les rapports à l’État et à la société et résoudre les contradictions entre tradition et modernité en tant que forces essentielles de ce renouvellement. Je me suis par conséquent interrogé sur les chances qu'offrent ou pas d'ailleurs les récents changements dans la région à travers l'étude des relations tuniso algériennes après ce qui est convenu d'appeler communément le "printemps arabe", qui prend malheureusement de plus en plus l'allure d'un hiver qui obscurcit davantage l'horizon maghrébin et menace les fondements de l’État dans ses pays.
Au fur et à mesure que le temps avance, il apparaît clairement que le prétendu "printemps arabe", est engagé sur sa pente, que le pacte social est de plus en plus affecté, que la guerre civile pointe le bout de son nez, On observe une réapparition des cercles concentriques autour des différents pouvoirs prétendument démocratiques, qui ne gouvernent que pour servir le noyau dur et hétéroclite de ceux qui en échange de ce soutien, cherchent à assurer la survie de leurs intérêts vitaux au dépend des réels objectifs de ses soit disant révolutions. J'observe qu'on est désormais passé de l'étape non moins grave de troubles lancinants à l’ordre public, à une autre plus grave, celle du pire: la guerre civile. L'exemple égyptien après le délogement de Morsi par l’armée égyptienne, prouve si besoin la difficulté de l’exercice démocratique dans des pays longtemps soumis au monopartisme , à la marginalisation des intellectuels et plus largement la société civile.
Évidemment personne n'espère la reproduction de l'exemple égyptien en Tunisie ou ailleurs même si des espoirs sont nés en Tunisie quant à l'exportation de ce phénomène. Heureusement que les traditions politiques et les spécificités de chaque pays rendent toute comparaison inappropriée, puisque chaque pays s’inscrit historiquement et institutionnellement dans une logique différente au moment d’opérer un changement à son sommet.
Les bouleversements qui ont eu lieu au Maghreb sont différemment analysés. Pour certains, ils ne sont que la conséquence d'une longue nuit dictatoriale qui a obscurcit toute lumière sur plus de trois décennies de régimes sans partage arrivés à bout de souffle. Pour d'autres, ses révoltes ne sont que le produit de laboratoires bien rodées, spécialisées dans la déstabilisation des États de la région devenus indésirables après des décennies de soutien indéfectible apporté par les États-Unis et les puissances occidentales. La vérité serait probablement une synthèse entre les deux thèses. J'adhère personnellement davantage à la thèse du complot machiavélique de déstabilisation voulue par des puissances étrangères, inquiètes pour leurs intérêts stratégiques. Nombreux sont les penseurs arabes qui vont dans le sens d'un complot, notamment Ahmed Bensaada qui a collaboré à un ouvrage explosif publié en décembre 2012, « La face cachée des révolutions arabes » (7). Même si l'on accrédite l'idée d'un soulèvement populaire, il faudrait considérer qu'il a été mis sous influence, par ailleurs il faut souligner qu'en l’occurrence, on ne peut réellement parler de « réveil des peuples arabes » car ils n'étaient pas plus endormis que les autres peuples de la planète. N'oublions pas que les protestations et les révoltes en Tunisie étaient monnaie courante depuis les années 70. Je veux parler des révoltes du pain en 1978 et 1984 ou encore des événements de Redeyef, une cité minière au sud ouest de la Tunisie en 2008, sans parler naturellement des mouvements de libération nationale ou encore du nassérisme qui a révolutionné l’Égypte et le monde arabe. Il me semble qu'on davantage face à un retour en force de l'impérialisme et du néocolonialisme qui, me semble t-il, constitue l'enjeu majeur de ce printemps arabe.
Il me semble que le risque est grand de voir l’Algérie tôt ou tard, déstabilisée à son tour par le printemps tunisien. Des informations font état d'une volonté américaine d'exporter le printemps tunisien vers l’Algérie voisine, via une des vitrines de la CIA, l'ONG «Freedom House » qui se déclare aider à la défense des droits humains, les libertés et la démocratie, dans les pays en déficit dans ce domaine. Sur le site de cette ONG apparaît, en effet, une annonce intitulée « Directeur de projet – Tunisie » où l’on relève que celui-ci sera chargé de développer et mettre en œuvre des programmes visants à soutenir la démocratie et les militants des droits humains ; gérer le programme du point de vue stratégique, financier, ressource humaine, communication, surveillance et évaluation ; entretenir des relations avec des organisations locales des droits de l’homme et leurs militants, identifier les opportunités et élaborer, en coordination avec le directeur régional, des programmes de financement et d’organisations. Pour ce faire, « Freedom House » prend en charge les militants de première ligne qui luttent pour la « propagation de la liberté et de la démocratie dans le monde entier, dont la liberté de la presse et la liberté sur le Net ».
Certains leaders politiques algériens, ont bien compris le danger qui guette l'Algérie, notamment la Secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louiza Hanoun qui n’a pas manqué, lors d’un meeting organisé l'année dernière à Annaba, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, d'affirmer « qu’une société américaine privée recrute plus de 200 jeunes algériens résidant en Tunisie pour les utiliser dans le prochain épisode du printemps arabe prévu bientôt en Algérie ». Le nombre de blogueurs algériens impliqués dans ce programme est de 200, travaillant à «déterminer les restrictions sur les libertés en Algérie et à définir les besoins sociaux de la population ». Certains ont pour mission de « documenter les événements de la décennie noire en Algérie et les abus de pouvoir pendant les années 90 ». Elle a ensuite confirmé « la présence d'autres organisations non-gouvernementales appartenant au service de renseignements américains qui œuvrent pour la déstabilisation de l'Algérie, profitant des conditions socio-économiques difficiles des régions du sud de l'Algérie où l’on assiste à l’effervescence de slogans étranges appelant à la sécession du sud de l'Algérie ». Ce complot contre l'Algérie est encadré par un programme portant le nom de « nouvelle génération de militants pour la démocratie en Algérie »
Ces sont ces mêmes « cybers-collabos » comme on les dénomme en Tunisie qui ont contribué à cette « révolution des jasmins » sous la vigilance de «Freedom House » qui désormais a officiellement un bureau à Tunis pour « accompagner les Tunisiens dans leur magnifique mutation démocratique ». Selon « Tunisie-secret » (8) : « l’Algérie devait tomber en même temps que la Tunisie. En seulement deux mois (janvier et février 2011), il y aurait eu en Algérie près d’une vingtaine d’immolations par le feu. Selon des informations émanant du site d'information, les studios d’Al-Jazeera étaient déjà installés à Oujda, au Maroc, dès le 23 janvier 2011 pour filmer des scènes d’insurrection jouées par des figurants marocains, à faire passer comme des scènes se déroulant réellement dans des villes algériennes. Exactement comme cela s’est passé dans le cas de Benghazi et de Tripoli » ; pour conclure ainsi : « le gouvernement usurpateur de la Troïka ne se contente pas seulement d’envoyer des centaines de djihadistes mercenaires en Syrie. Il complote aussi contre l’Algérie selon un agenda américano-qatari », expliquait le site Tunisie secret.com.
Autre levier pour déstabiliser l'Algérie, on parle de la réactivation du sécessionniste Kabyle, une sorte de « Benghazi algérien », sujet on ne peut plus tabou en Algérie où l'on préfère parler plutôt des problèmes du Sud du pays. Évoquant la situation difficile et le faible niveau de croissance notamment en région de Kabylie et plus largement au sud du pays, Louisa Hanoune a mis en garde contre je cite « un éventuel soulèvement au sud algérien si les autorités officielles n’agissent pas aussitôt que possible pour contenir la situation et satisfaire les revendications des jeunes de cette région ». En conclusion de son discours, Louisa Hanoune attire fortement l'attention sur « le danger qui guette le pays, si Bouteflika ne tranche pas en urgence ces questions en vue d’éviter au pays les affres de la guerre au Mali et une éventuelle intervention étrangère dans le pays que préparent certains États et organisations ».
L'année 2013 semble être une année très difficile pour l'Algérie. En effet, le pays se trouve isolé et encerclé par des pays à pouvoir islamiste, qui doit gérer en plus le vide politique qui se profile à l'horizon avec les vacances du pouvoir au sommet de l’État avec un président bien affaibli à cause d'une santé de plus en plus fragile et la résurgence d'une guerre de chefs, sous l’œil bienveillant de l'armée et des renseignements militaires, seules titulaires véritables du pouvoir dans le pays. Sans parler de l'imposant voisin marocain qui connaît également une montée en puissance du pouvoir islamiste désormais à la tête du gouvernement dans ce pays à la faveur des réformes politiques entreprises par le roi, qui ont permis pour la première fois dans l'histoire de ce pays, des élections un tant soi peu transparentes et l'abandon du roi de quelques unes de ses prérogatives. Il faut également évoquer la situation très difficile au Sahel depuis l'intervention française au Mali, qui chacun le sait ne réglera pas du moins politiquement la situation très instable dans ce pays et plus généralement au Sahel où la présence de l'AQMI ou Al-Qaïda au Maghreb islamique, se renforce et qui voit l'arrivée massive de djihadistes venus de Libye, de Tunisie et de Syrie, combattre la présence française.
Profitant de cette situation très difficile dans la quelle est plongée l'Algérie, il semblerait que le Qatar fait tout pour empêcher un quelconque rapprochement entre Tunis et Alger, alors que plus que jamais ces deux pays ont un intérêt à le faire. D'un côté, le pouvoir tunisien dominé par le parti islamiste Ennahda ne lui a rien demandé et je ne vois pas comment il pourrait le faire étant donné la dégradation des relations entre les deux pays notamment après les imprudentes déclarations du président du mouvement islamiste tunisien Ennahda Rached Ghannouchi, mettant en avant les mérites du mouvement islamiste algérien à diriger le pays, chemin faisant il ne fait qu'obéir aux ordres de ses maîtres qataris.
Pour s'en convaincre, il faut rappeler que lors de la prise d'otages de la raffinerie d'In Amenas, la chaîne qatari Al Jazira était le seul média à avoir donné la parole à l'un des fondateurs du FIS ( Front islamique du salut) algérien, qui vit en exil à Doha. Ce dernier, profitant de l'occasion, s'est lancé dans des attaques virulentes contre les autorités algériennes, rappelant à l'envie que le peuple était « choqué de l'autorisation donnée à la France de survoler le territoire ». De même Al Jazira était la seule chaîne à couvrir une manifestation de protestation de l'ancien numéro deux du FIS Ali Belhadj lors de laquelle il avait critiqué la position algérienne. Ce sont là deux exemples parmi d'autres de tentatives de déstabilisation de l'Algérie par le Qatar.
De son côté l'Algérie aujourd'hui dans l’œil du cyclone, menacée à son tour par les effets pervers de ce printemps arabe, au moment où le pays traverse un grand moment de solitude diplomatique, est bien obligée à rester vigilante pour déjouer ces tentatives. Paradoxalement l'échec de la révolte tunisienne lui offre l'occasion de se prémunir de ce danger et de lui assurer un retour retentissant sur la scène régionale, en proposant un plan Marshall pour la Tunisie par l'ouverture de son marché de travail, aux nombreux chômeurs tunisiens. L'Algérie qui reçoit pas moins de 80.000 ouvriers chinois, pourrait facilement ouvrir sa porte à quelque 50.000 travailleurs tunisiens, ce qui peut signifier le retour d'Alger sur les radars régionaux n'en déplaise aux qataris qui cherchent au contraire à l'isoler pour mieux la contrôler.
En définitive, il faut bien admettre une chose, c'est que les expériences observées dans d'autres pays avancés, prouvent que le développement économique ne pourrait se produire que dans des grandes entités potentiellement autonomes à condition de former un ensemble régional commun. La nécessité de grands moyens et d'un large marché intérieur sont les conditions préalables qu'à l'évidence aucun pays maghrébin ne peut remplir à lui tout seul et certainement pas aujourd'hui dans ses conditions de désordre total et d'instabilité chronique, fruit des dernières révoltes arabes.
Mohamed Troudi, chercheur en relations internationales et stratégiques, associé à L'AGP, « Académie de Géopolitique de Paris », politologue et analyste en politique étrangère, Paris.
(1) Alain, de son vrai nom Émile-Auguste Chartier est un philosophe, journaliste et essayiste
(2) Frantz Omar Fanon, est un psychiatre et essayiste français, martiniquais et algérien, il est l'un des fondateurs du courant de pensée tiers-mondiste qui cherche à analyser les conséquences psychologiques de la période coloniale tant sur le colonisateur que le colonisé.
(3) Jacques Berque, est un sociologue et anthropologue orientaliste français, titulaire de la chaire d'histoire sociale de l'Islam contemporain au Collège de France de 1956 à 1981 et membre de l'Académie de langue arabe du Caire de 1989 à sa mort en 1995. Il est l'auteur de nombreuses traductions, dont celle du Coran et de Mémoires des deux rives, appréciées notamment pour la qualité de leur style. Il est attaché à la création d'une véritable solidarité méditerranéenne, déplorant notamment l'éloignement de l'Europe de sa dimension essentielle la Méditerranée à qui elle a tourné le dos en regardant depuis Maastricht plutôt vers le Nord.
(4) En effet suite à la multiplication des opérations militaires menées par les unités de l’ALN et l’approvisionnement des Moudjahidines en armes à travers les frontières Est et Ouest et dans le but essentiel d’isoler la Révolution algérienne de tout soutien que peuvent apporter Tunisiens et Marocains, les autorités de l'occupation décident de fermer les frontières en construisant deux lignes de barbelés électrifiés constituant un barrage au niveau des frontières Est et Ouest de l’Algérie. A l'origine l'idée de ces lignes électrifiées, revient au général français Paul Vanuxem à qui on prêtait des positions politiques très tranchées sur l'Algérie française, elles sont connues sous les noms de lignes Challe et Morice. La ligne Morice : porte le nom d’André Morice, ministre de la défense dans le gouvernement de Bourgès-Maunory. Les travaux pour son édification furent lancés en août 1956. La ligne s’étend à l’Est sur une distance de 750 km de Annaba (au nord) à Négrine (au Sud). Large de 30 à 60 mètres, elle s’étend à l’ouest sur la même distance (750 km) de Ghazaouet au Nord à Béchar au Sud. La ligne Challe : désignée sous le nom de Maurice Challe, commandant des forces françaises à l’époque, elle fut édifiée sur le front Est du pays, à la fin des années 1958 derrière la ligne Morice afin de la renforcer et contribuer à interdire le passage des Moudjahidines. Les deux lignes constituent un ensemble de réseaux parallèles de fils électrifiés et de barbelés de différentes formes et dimensions. Les lignes étaient dotées de tous les moyens d’extermination des personnes allant de la haute tension électrique (trente mille volts sur la ligne Challe) aux différents types de mines notamment anti personnelles.
(5) L'UMA a été fondée le 17 février 1989, date à laquelle le Traité constitutif de l'Union du Maghreb Arabe, a été signé par les Cinq Chefs d’États à Marrakech à savoir les trois pays du Maghreb central ( Tunisie,Algérie,Maroc), la Libye et la Mauritanie. Depuis cette union est restée sans lendemain tant la volonté politique manquait cruellement à sa réalisation en dépit d'une demande forte des peuples de la région. Le déclenchement de la crise algérienne désignée communément par la décennie noire, l'absence de perspectives sérieuses de résolution du conflit du Sahara occidental et le déclenchement des printemps arabes ont sérieusement compromis les chances d'une relance de l'unité maghrébine alors que le besoin se fait sentir plus que jamais.
(6) Ce document a été publié dans la revue du Maghreb en 1918
(7) "La face cachée des révolutions arabes", éd. Ellipses, décembre 2012, est un livre qui tente d'aider à comprendre le « printemps arabe » qui a commencé par déstabiliser la Tunisie s'étendant par la suite à de nombreux pays arabes dans le quel Bensaada, un des premiers intellectuels arabes vivant au Canada à avoir mis en exergue le rôle de certaines ONG américaines dans la formation des cybers-collabos ayant déstabilisé les régimes arabes.
(8) Tunisie Secret, portail d'informations confidentielles sur la Tunisie et le monde arabe. http://www.tunisie-secret.com
« Le plus difficile au monde est de dire en y pensant ce que tout le monde dit sans penser » Alain (1)
« la phase bourgeoise dans l'histoire des pays sous développés est une phase inutile. Quand cette caste sera anéantie, dévorée par ses propres contradictions, on s'apercevra qu'il ne s'est rien passé depuis l'indépendance, qu'il faut tout reprendre, qu'il faut repartir à zéro » Frantz FANON les Damés de la terre (2)
« Le Maghreb a un passé glorieux. Il n'est pas né de rien. Les peuples historient leur présent en dynamisant le passé d'hier et d'avant hier » Jacques BERQUE, le Maghreb entre deux guerres (3)
une Histoire maghrébine tourmentée
Il serait opportun de s'arrêter sur cette aspiration historique des peuples de la région à l'union notamment entre Algériens et Tunisiens. Il n' y a qu'à revenir sur l'épisode riche en enseignement de la Révolution algérienne du 1er novembre 1954 et plus exactement sur le sentiment et l'impact du soutien dont a témoigné le peuple tunisien à son frère algérien avec qui il partage une même géographie, une histoire, une langue et une religion commune, pour s'en rendre compte des liens profonds existants entre ces deux pays.
Contrairement à ce qui est a été écrit et dit ici et là , le soutien de Bourguiba à l'Algérie dans sa guerre pour l'indépendance, procédait d'une profonde conviction qu'une Algérie libre et indépendante était nécessaire à la construction d'un Maghreb arabe, idée défendue à l'époque par son rival Salah Ben Youssef, qui voulait en faire sa propre cause. Cette relation très étroite entre l'Algérie et la Tunisie s'est affirmée également lorsqu’il a fallu défendre l'identité maghrébine, menacée par la colonisation dite de “comptoir” que la France a durement appliquée en Algérie pour gommer toute trace d'appartenance arabo-musulmane de ce pays depuis 1830. Cette politique de déracinement a atteint des proportions inquiétantes et quasi irréversibles avec le déclenchement de la révolution algérienne . Nombreux sont les Algériens qui sont partis apprendre en Tunisie l'arabe et le Coran (citons à titre d'exemple l'ancien président Houari Boumediène, élève de la Zaitouna) ou encore à Fez et en Égypte.
Certes, la signature des protocoles d’indépendance de la Tunisie et du Maroc en 1956 a été considérée comme une trahison par les nationalistes algériens. En effet, le slogan de l'époque était oui à un Maghreb indépendant, oui à une solidarité maghrébine face à l'ennemi commun à savoir le colonisateur français, idée alors largement défendue par Salah ben Youssef que Bourguiba va reprendre à son compte dans la guerre politique interne qui l'opposait à son rival de l'époque . Mais trèsvite, l'indépendance tunisienne va permettre à la Tunisie de devenir la base arrière de la révolution algérienne et à moindre mesure le Maroc, tout deux libérés du joug colonial. Mettant en avant la Convention de Genève, la Tunisie apporte un soutien sans faille à la fois sur le plan politique et en terme d'aide logistique pendant la période allant de 1956 à 1962. Le soutien tunisien à la cause algérienne prendra progressivement de l'ampleur à mesure que la France durcissait sa répression contre les combattants algériens.
Les 350 km de frontière entre les deux pays sont devenus un véritable casse tête au colonisateur français, étant en effet très perméable et rendant très difficile le contrôle de la contrebande et les échanges divers. Elle est devenue très rapidement un excellent refuge pour les combattants algériens et un point de harcèlement des troupes françaises et des colons français proches de la frontière tuniso-algérienne. Cette situation pour le moins difficile à cerner pour la France, poussera à l'édification des lignes “Challe et Morice” (4) le long de la frontière tuniso-algérienne avec du barbelés électrifié, des sentinelles et des patrouilles mobiles et fixes, avec pour but d'empêcher autant que faire se peut le soutien tunisien et de porter un coup à la mobilité des combattants algériens qui harcelaient à la fois soldats et colons français. En dépit de la répression française, la Tunisie devenait le point de départ et de retour des opérations militaires de l’ALN “ Armée de Libération Nationale” à l’intérieur du territoire algérien. Le point culminant des accusations réciproques à la fois d’entrée en Tunisie (territoire souverain) par les troupes françaises et de l’autre l’abri offert aux rebelles qui «tuent des Français» culmina par le carnage du 8 février 1958 (bombardement de Sakiet Sidi Youssef), événement annuellement célébré dans le village martyre qui symbolise la fraternité algéro-tunisienne.
Il n’est pas exagéré de dire que beaucoup de Tunisiens étaient prêts à prendre les armes et à se battre avec les Algériens, même si cela risquait de compromettre l’indépendance fraîchement acquise au prix de nombreux sacrifices et qui à un moment donné, a failli tourner à la guerre civile (conflit Bourguiba-Ben Youssef). Ce qui est certain, c'est que les Tunisiens pensaient à juste titre qu'il était plus productif d'aider leurs frères algériens en étant indépendant . Cette question a été tranchée au sein du Destour , même si Ben Youssef et ses partisans avaient pour leur part posé la question de l'indépendance du Maghreb central, ce qui aurait des conséquences fâcheuses sur l'obtention de l'autonomie et plus généralement sur l'indépendance de la Tunisie. Malgré tout, les Tunisiens sont restés solidaires avec la Révolution algérienne, point d'orgue de l’indépendance de tout le territoire nord-africain ; c’est une nécessité absolue en dépit de l’obstination des dirigeants français et les tenants de l’Algérie française à anéantir le mouvement nationaliste algérien.
Une fois l’indépendance tunisienne acquise, la Tunisie affirmera officiellement son appui indéfectible à la Révolution algérienne. Les marques de soutien à la cause et au combat du peuple algérien avec ses représentants légitimes (FLN, ALN, GPRA, Front de Libération Nationale, Armée de Libération Nationale, Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) étaient inépuisables, au point de compromettre ses relations avec la France. Dans tous les discours de Bourguiba, même celui prononcé dans la déclaration de la République, l’Algérie était omniprésente et sa cause longuement plaidée avec courage et obstination.
Fort de ses acquis et assises après avoir mis fin au mouvement yousséfiste, Bourguiba s’est engagé pleinement à défendre la cause algérienne. En dépit du ralliement de nombreux Algériens au mouvement yousséfiste, et qui prirent une part active dans de nombreux incidents les opposant au Destour, Bourguiba tint à ne pas leur en tenir rigueur afin de ne pas nuire aux relations avec les chefs politiques et militaires algériens ; il fallait ménager l’avenir pensait-il. Toujours est-il que Bourguiba insista auprès des autorités françaises pour régler le problème algérien par voie de négociation en affirmant que si la France tenait à une coopération libre avec le Maghreb il fallait faire entrer l’Algérie dans le cercle des pays indépendants ; seulement à ce prix le Maghreb renouerait des relations bilatérales solides et durables avec l’ex colonisateur, affirmait Bourguiba
soutien moral et la participation active de nombreux Tunisiens dans le combat que menaient les Algériens étaient de tous les instants. Au delà des villages frontaliers tunisiens qui servaient de zone tampon pour les opérations de l’ALN, la capitale Tunis constituait l’épicentre politique du FLN et du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne), reconnus et accueillis en grande pompe par Bourguiba lui-même à Tunis en 1958. Le Conseil National de La Révolution Algérienne (CNRA) tint sa première réunion à Tunis. Certains endroits à Tunis étaient largement connus comme étant le QG des Algériens : l’actuelle rue Mongi Slim, le Colisée, le Palmarium pour n'en citer que ces places là. Ce soutien qui s’exerçait au nom de la liberté d'expression, était un moyen habile de pousser la France aux négociations ce qui permettra à Bourguiba de jouer les bons offices
Quelques lieux et des actions fortes menées par les Algériens en Tunisie témoignent de leur présence et démontrent le soutien inconditionnel du peuple tunisien, on peut citer à titre d'exemple:
- le journal El Moudjahid, organe du FLN, fut publié en Tunisie le 5 août 1957 soit deux semaines après la naissance de la République Tunisienne;
- le 8 février 1957 ; après avoir déserté la France, les joueurs de l'équipe nationale, ont finis par rejoindre la Tunisie, où ils avaient jouer représentant ainsi l'Algérie à travers le territoire tunisien ;
- les membres du FLN, du GPRA, du CNRA avaient fréquemment leurs bases en Tunisie et accessoirement en Égypte; c'est ainsi que des membres influents du FLN, donnaient les mots d'ordre d'opérations directement de Tunisie , je pense à Ben Bella, ou encore à Boumediène,
- «Radio Tunis» consacrait une émission chronique «Échos de l’Algérie libre» et l’émission continua en dépit de véhémentes protestations françaises.. D'ailleurs nombreux étaient les Tunisiens qui figuraient parmi les victimes de la répression française pendant la guerre d'indépendance algérienne.
L'exemple le plus mémorable reste sans la moindre contestation, les événements douloureux survenus le 8 février 1958 à Sakiet Sidi Youssef au cours desquels s'est mêlé le sang des Tunisiens à celui des Algériens dans leur combat commun contre l'occupant au nom de la dignité et le droit des peuples de disposer d'eux mêmes. En mémoire des sacrifices consentis par les deux peuples, et pour mieux inscrire le destin des deux nations dans les annales de l'histoire, un musée de la mémoire commune tuniso-algérienne a été créé à Ghardimaou, ville frontalière symbole de l'engagement tunisien au côté du peuple algérien.
Cet exemple d'engagement mémorable de la Tunisie au côté du voisin algérien, montre combien les peuples du Maghreb aspirent légitimement à l'unité, car c'est une réalité à la fois psychologique et historique ancrée dans leur mémoire collective en dépit des rivalités internes et de modèles politiques généralement très antagonistes, suivis après les indépendances. Les pays du Maghreb partagent en effet certains traits communs, le plus important est certainement l'histoire maghrébine largement partagée, qui s'exprime par cette volonté farouche de préserver leur identité commune face aux assauts de différents conquérants étrangers notamment Vandales, Byzantins, Romains et bien évidemment occidentaux..Même la Tunisie , pays le plus méditerranéen des États maghrébins par la longueur de sa façade maritime, le plus ouvert aux influences étrangères en raison de sa faible profondeur terrestre, a su habilement sauvegarder sa personnalité arabo-musulmane. Ces peuples formant depuis 1989, l'UMA (5) n'ont cessé d'affirmer leur identité tant par rapport au Machrek, point de départ de l'islamisation du Maghreb que par rapport à l'Europe voisine, leur principal partenaire économique. On estime en effet aujourd'hui à plus de 60% le taux de commerce maghrébin avec l'Europe occidentale.
Néanmoins pour réaliser cette ambition unitaire somme toute très ancienne, il faut que s'épanouisse dans les esprits une attitude unificatrice à l'échelle du grand Maghreb. Or le constat aujourd'hui est sans appel de l'état d'effritement et de division que traverse la région maghrébine au moment où les grands ensembles s'organisent et les interdépendances entre les peuples est aujourd'hui une réalité de notre monde, désormais tourné vers la mondialisation et le rapprochement entre les nations et les peuples. Je veux relever ici le paradoxe entre le discours politique à proprement parler, qui n'a cessé de prêcher l'unité, et le comportement de ce mes mêmes politiques maghrébins qui ont cherché depuis les indépendances à construire et consolider des régimes plutôt des que des États modernes et démocratiques.
Il faut rappeler que l'unité maghrébine n'a été réalisée qu'a deux reprises dans le passé et sous des royaumes berbères. D'abord dans l'antiquité avec Messinissa ( 238-148 avant J.C) qui tenta de soumettre à une autorité unique, l'ensemble du Maghreb au nom de la Doctrine « l'Afrique aux africains », puis une deuxième fois sous l'ère islamique pendant le règne des Almohades (1147-1269). Certains sceptiques pensent non sans raison que le lancement de l'UMA n'est qu'un rêve ancien entretenu par la nostalgie d'un passé glorieux, d'autres encore plus pessimistes pensent que ce rêve unitaire n'est qu'un slogan commode aux mains des chefs d’états maghrébins en mal de projets mobilisateurs. Or il me semble qu'historiquement le grand Maghreb n'est pas qu'une simple juxtaposition d’États voisins que tout sépare, politiquement économiquement et d'un point de vue de vision et de stratégie politique des uns et des autres.
En effet si on pousse l'analyse plus loin, on peut constater qu'il existe dans l'évolution des États concernés des convergences qui laissent entrevoir une homogénéisation des diverses composantes de la région. Rien que sur le plan économique, on peut noter de réelles complémentarités qui forment un facteur de choix dans la perspective d'une intégration économique totale entre les États de la région. Ces éléments que je désigne par les facteurs unitaires que sont essentiellement l'histoire, la langue et la civilisation commune, ne doivent pas cependant occulter les problèmes de fond auxquels sont confrontés les États maghrébins, notamment la politisation à outrance de la religion perceptible aujourd'hui à travers la dialectique des rapports au sein du champ politico-religieux que le dernier printemps maghrébin a fait éclater au grand jour.
L’islamisation rampante, un frein à l'intégration maghrébine
Au delà de la terminologie ou la sémantique de la formule, il s'agit ici d'appréhender avec des mots l'essence d'un phénomène multiforme et inattendu qui se pose aujourd'hui avec acuité à nos sociétés maghrébines, printemps arabes aidant. Inattendu, car rien ne prédisposait les paisibles musulmans tunisiens , algériens ou marocains à se muer en virulents islamistes, capables des pires atrocités, comme l'a montré hélas la décennie noire en Algérie. Il est par conséquent utile de ne pas minimiser ce phénomène dans l'étude des relations tuniso algériennes sans pour autant le surévaluer, même s'il est vrai qu'il est difficile de l'appréhender à sa jutes valeur. On est en droit de se demander pourquoi la religion est devenue une valeur refuge pour certains groupes accrochés au repli identitaire et au retour aux sources primaires de l'islam comme seuls projets politiques et économiques, alors qu'en même temps le monde se globalise de telle manière qu'il est devenu un petit village planétaire, balayant d'un revers de la main la notion des frontières et la conception dépassée de l'état nation.
L’islamisation rampante des sociétés maghrébines s'explique surtout par des raisons internes, liées essentiellement à l'antagonisme politique, qui tire ses origines des systèmes politiques mis en place aux indépendances des divers pays maghrébins, aggravant ainsi une situation rendue très difficile par les différents débordements sociaux qu'ont connus ces États. Les divergences des intérêts et des conceptions de l'unité maghrébine des élites dirigeantes en matière de coopération en sont responsables du retard quasi irrattrapable en matière de coopération. Il faut distinguer ici deux axes majeurs; un que j'appellerai l'axe fermé algérien qui considère l'union maghrébine comme une optique strictement arabe. Il s’appuie sur l'intégration des économies maghrébines par la production , dans le but de la soustraire à la dépendance, à l'extraversion, en somme l'insérer dans une stratégie de coopération sud-sud. L'autre axe, celui tuniso-marocain qui associe davantage le Maghreb à l'Europe.
L’Algérie et la Tunisie, un destin commun occulté par des approches idéologiques différentes
Si l'on jette un regard intéressé à l'arrière plan historique, l'on s'aperçoit que l'historie maghrébine a été un mouvement permanent pour l'unité, il peut être perçu à plusieurs époque ayant chacune ses caractéristiques propres avec des tentatives de l'intérieur et d'autres de l'extérieur : l'unification à partir de l'Est, dite tentative fatimide et ziride, l'unification à partir de l'ouest, la tentative almoravide et almohade, la période de la présence ottomane dans le Maghreb septentrional, divisé en trois régences, Tunis, Alger et Tripoli, la période de la lutte anti-coloniale pour l'indépendance et enfin la période de la clarification des rapports à la fois avec l'ancienne métropole et entre les États maghrébins eux mêmes. C'est la phase que j'ai qualifié de ré- identification. Ce sont les deux dernières périodes de l'histoire contemporaine du Maghreb central et principalement celle de la ré-identification et bien évidemment la période actuelle, qui me serviront d'angle d'étude des relations tuniso-algériennes
Si le règne ottoman a longtemps favorisé l'unité maghrébine par la défense de la religiosité maghrébine et le placement du pouvoir sous une seule et même autorité, celle du calife, son déclin a logiquement ouvert le champ à l'implantation coloniale. L'unité du combat pour la libération a été un solide ciment de l'unité de la région. De tout le Maghreb, l'Algérie a connu assurément un sort le plus marqué par l'emprise coloniale y compris au plan institutionnel en devenant un département français, par conséquent transformée en colonie de peuplement. La politique de division, menée par le colonisateur français, a contribué à faire sortir le mouvement nationaliste sur le terrain de la lutte, favorisant ainsi le rapprochement puis la solidarité entre les populations que la France voulait paradoxalement diviser. Apparaissent alors plusieurs mouvements qui allaient servir d'aiguillon à cet élan libérateur, tel le mouvement des jeunes tunisiens en 1907, des jeunes algériens en 1914 ou encore le mouvement des jeunes marocains en 1919. En 1945, un comité pour l'indépendance de la Tunisie et l'Algérie a même lancé à Genève, l'idée d'une république nord-africaine, suit par la suite la naissance de la revue Maghreb, qui pose carrément la question de l'indépendance.
Entre 1920-1947, deuxième étape plus affirmée des relations maghrébines, avec la formation des mouvements de libération nationale: il s'agit du Destour tunisien en 1920 d’où sortira le Néo-destour en 1934, puis l'Etoile-nord-africaine en 1926 qui est à l'origine du PPA, le parti du peuple algérien, et enfin l'Istiqlal marocain en 1943. En 1948, on assiste à la troisième étape du réveil politique maghrébin, c'est l'étape la plus structurée sous la présence française, puisqu'elle marque l'entrée en action du Comité de libération du Maghreb. La solidarité tuniso algérienne était totale, solidarité qui va jusqu'à la formation d'un comité tuniso algérien qui se distinguera en adressant un mémoire au congrès de la paix à Versailles, dans lequel il énumère les revendications des deux pays et décrivait la vie si prospère avant la colonisation. Le mémoire souligne: « le peuple algéro-tunisien revendique son indépendance complète. Il en appelle à la conscience universelle pour lui reconnaître son droit à disposer librement de son sort, et saisissait de ses reevendications légitimes le congrès de la paix.....pour examiner la carte du monde et formuler les principes nouveaux pour la garantie des droits de l'homme et des peuples (6). Néanmoins cette volonté de bâtir une unité maghrébine, s'est davantage affirmée en opposition aux puissances coloniales, au rejet de la domination étrangère qu'en s'imposant comme un projet autonome et concret. L'accession à l'indépendance des différents pays maghrébins aura raison de l'idée maghrébine avec l'apparition des divisions chroniques ,mettant le maghrébisme à rude épreuve dont il aura beaucoup de difficulté à se relever encore aujourd'hui.
En dépit de multiples alliances passées entre les différents acteurs maghrébins notamment le traité de fraternité et de concorde entre l’Algérie et la Tunisie signé en 1983, le traité de Oujda entre le Maroc et la Libye ou encore le traité de Djerba entre cette dernière et la Tunisie, signé en 1974, vite dénoncé par le premier ministre de Bourguiba Hédi Nouira, il est désormais acquis que tout rapprochement entre l'un ou l'autre des partenaires maghrébins, qui change d'ailleurs au gré de la conjoncture régionale, internationale et des intérêts nationaux foncièrement divergents, provoque aussitôt la suspicion et la méfiance réciproque. Les relations tuniso algériennes n'échappent malheureusement pas à cette règle. En d'autres termes les relations entre ces pays se posent davantage en terme idéologique et beaucoup moins en termes de nécessité de rapprochement sérieux que dicte par ailleurs la réalité de notre monde, tourné vers la constitutions des ensembles régionaux. Or il est acquis que les unions dites idéologiques favorisent très souvent pour ne pas dire toujours la prééminence des sommets au détriment de la base. L'on assiste depuis à l'unification d'appareils au pouvoir en perte de légitimité et rarement, voire jamais la chance d'unir réellement les peuples. Le Maghreb et plus largement le monde arabe présente des exemples éloquents de cette distorsion entre la volonté des peuples et l'action des politiques. Dans ce cas, parler de Grand Maghreb est un paradoxe; en ce sens qu'il ne présente aujourd’hui qu'un ensemble effrité, en somme le Maghreb bouge sans avancer.
Pour bien comprendre les difficultés des relations maghrébines notamment tuniso- algérienne qui nous intéresse ici, du moins d'un point de vue strictement idéologique, il faut revenir à l'origine des fondements de l'approche algérienne de l'unité maghrébine. Cette approche s'oppose d'abord à l'approche ouverte tuniso marocaine que j'ai rappelé plus haut, tendant à ouvrir le grand Maghreb sur le monde et principalement sur l'Europe, elle s'appuie par conséquent sur une optique régionale, euro-maghrébine et euro-arabe, alors que la conception algérienne de l'unité du Maghreb s'appuie essentiellement sur une optique arabe.
En effet, l'élite algérienne (c'était vrai hier et c'est encore le cas aujourd'hui), possède des intérêts stables et de longue durée, motivées politiquement et économiquement par une collaboration croissante entre les acteurs maghrébins. Ils reflètent aussi bien l'intérêt des cercles dirigeants d'assurer des relations de bon voisinage pour pérenniser le pouvoir intérieur et promouvoir la voie du développement national, que les tentatives de consolider un rôle dirigeant, revendiqué par l’Algérie par rapport aux autres partenaires de la région. Ces efforts algériens portés par l'approche typiquement algérienne de l'unité maghrébine, visent à obtenir par une coopération sus-sud, le renforcement de la position algérienne tant sur le plan de l'échiquier régional que par rapport à l'Europe et principalement vis-à-vis de la France.
Cette approche algérienne de l'unité maghrébine a connue son apogée sous la présidence de l'ancien président Houari Boumediène ( 1965-1978). En effet, sous son empoigne, un développement de la collaboration a été envisagé entre les États qui garderaient néanmoins intacte leur souveraineté tout en soulignant la nécessité de créer progressivement les conditions notamment dans le domaine social et économique, conduisant à la réalisation d'un Maghreb des peuples, source de toute légitimité d'union maghrébine. Ce rapprochement dexite la position algérienne doit coïncider impérativement avec « la libération des masses exploitées » et après la réalisation des «transformations profondes dans les structures des pays du Maghreb », ce n'est qu'à ces conditions que se réalisera l'unité du Maghreb d'après l'approche algérienne.Très rapidement cette vision du grand Maghreb a été ressentie par les pays voisins comme une tentative d'exporter le modèle de développement algérien, même si des modifications ont été apportées à cette approche tant sous le la présidence de Chadli Benjedid , de Zeroual et de Bouetflika, donnant davantage d'importance à la différences des systèmes politiques et idéologiques des pays concernés.
Il en ressort qu'encore aujourd'hui, l'unité maghrébine est restée quelque peu statique. Elle n'a pas réalisée la transformation mentale indispensable et du coup, le processus prend du temps, l'éclatement de ce désert arabe qu'on appelle à tort « printemps » complique davantage la tâche et renvoi l'unité maghrébine à plus tard comme en témoigne les relations complexes entre les États concernés depuis maintenant plus de deux ans et les relations tuniso-algériennes n'échappent malheureusement pas à ce triste constat.
Des quatres principes essentiels décrits ci dessus, la démocratie demeure aujourd'hui la clé et la solution pour de meilleures relations de voisinage, voire un moyen de consolider les complémentarités existantes entre les différents peuples de la région et notamment entre Tunisiens et Algériens. A vrai dire, la démocratie est pour le Maghreb à la fois une fin et un moyen. Une fin en ce sens que le Maghreb doit être nécessairement égalitaire, équilibré, décentralisé et respectueux des particularités. C'est également un moyen car ce n'est que par les méthodes et le combat démocratique que les peuples de la région pourront exercer des pressions fortes sur les régimes pour les amener à se rapprocher et à s'entendre pour l'intérêt commun de la région.
En effet, le Maghreb ne se fera que le jour où les peuples se mobiliseront pour imposer aux dirigeants la seule politique possible, un fédéralisme respectueux des aspirations des peuples. Cela nous conduit à la question centrale selon laquelle une véritable démocratie ne peut se résumer à un système dans lequel un homme ou une poignée d'hommes se réclamant des suffrages. Elle est la création d'un type nouveau d'organisation où le pouvoir s'émane d'en bas et les initiatives se fédèrent pour aboutir à une solide coordination permettant le partage des informations et des expérimentations sociales; en somme, il faudrait que les" vivants appellent à éveiller les morts" pour reprendre l'expression de Roger Garaudy. Mais le fédéralisme n'est nullement la solution définitive aux maux de la région, il ne peut qu'organiser efficacement des sociétés divisées, mal gérées dont les récentes révolutions arabes ont davantage exacerbées le sentiment national voire la division et la peur de l'autre comme étant porteur de source de déstabilisation potentielle.
Ce pourquoi, il apparaît de plus en plus à la lumière des autres expériences menées par d'autres nations, que dans le cadre d'un système fédéré, les querelles des régimes, de prestige et les divergences idéologiques finissent toujours par s'estomper et finiront par définitivement disparaître graduellement avec les générations futures. A ce titre, dans un système entièrement fédéré, l'Algérie apprendra par exemple à mieux vivre avec son imposant voisin marocain, et tunisien, mais également à vivre mieux avec ses minorités intérieures une fois les tensions internes et régionales définitivement apaisées. En somme, si l'union fait la force, il faut aux Maghrébins un minimum de force pour faire l'union. Le Maghreb sera pour reprendre l'expression de Brugmans "fédéral dans la structure de ses pouvoirs ou bien il échouera, ce qui est trop possible".
L'Algérie avec son pétrole et son gaz, la Libye avec son or noir, le Maroc avec son phosphate, ses millions d'habitants et sa terre fertile, la Tunisie avec son phosphate, ses cadres et ses techniciens plutôt bien formés et sa réputation de "grenier de Rome", n’arrivent toujours pas à s'imposer en tant que partenaires influent et respectés. A défaut d'unir leurs efforts, ils sont encore aujourd'hui condamnés à avoir une économie extravertie, à être l'allié privilégié de telle ou telle puissance pour ne pas dire satellite. C'est dire combien il est insuffisant de parler de printemps arabes ou de soulèvement populaire, transformés depuis en hiver pluvieux, voire en tornade qui est en voie d'emporter avec elle ce qui reste des bases étatiques et de sociétés civiles dans ces pays.
Une forme primaire de fédéralisme, plutôt que l'état de division de la région que le prétendu « printemps tunisien » a accéléré
C'est justement ici que se trouve la limite essentielle du grand Maghreb arabe, qui s'explique par l'antagonisme et l'état d'effritement du projet unitaire maghrébin. Face à cette situation qui a longtemps perduré, le passage vers une forme primaire de fédéralisme par conséquent souple, me semble constituer une sérieuse piste explorable, pouvant permettre à un Maghreb politiquement unifié, économiquement intégré, de se développer donnant à cette région divisée la force d'entreprendre. Cette vision fédéraliste n'est pas en elle même une solution miracle, mais un moyen susceptible de résoudre des problèmes longtemps occultés, que j'avais montré du doigts déjà en 1997, dans mon travail de thèse portant sur les limites de l'intégration maghrébines au travers de l’étude des différentes tentatives d'unification, de leur limite et des perspectives. Je rappelle que cette solution fédéraliste est en harmonie avec les réalités des différents pays maghrébins, comme l'a rappelé à juste titre, une des résolutions de la conférence de Tanger tenue en 1958, qui considérait déjà le fédéralisme comme celui qui répond le mieux aux réalités des pays maghrébins.
Ce fédéralisme doit répondre à quatre principes essentielles: d'abord l'égalité qui face à un centralisme hégémonique d'un ou plusieurs États membres, défend le droit élémentaire d'égalité et renforce la solidarité mutuelle face aux tentations séparatistes. Le deuxième principe celui de la diversité autour duquel s'articule l'unité maghrébine. Il se résume à la préférence accordée à la coexistence plutôt qu'à l'assimilation forcée, de telle sorte que la vie publique devient pour reprendre l'expression de Robert Schumann « une recherche en commun ». De cette manière, et ce sera le troisième principe directeur de ce fédéralisme, la méfiance réciproque et la crainte de domination de part et d'autre, cèdent très vite le pas à l'entente mutuelle, garante de la dignité, la sécurité et les intérêts de chaque État dans un ensemble maghrébin. Le quatrième principe qui est un complément indispensable des trois premiers, à savoir la démocratie qui est à la fois un moyen et une fin en soi. En somme une fédération ne se réalise pas d'emblée, elle se fait pour reprendre la formule de Senghor « par mûrissement intérieur comme le fruit ».
Or, 23 ans après le lancement de ce grand projet de l'union du Maghreb arabe, le fruit maghrébin tarde à mûrir de l'intérieur et les objectifs fixés par le traité de Oujda instituant l'UMA en 1989, n'ont trouvé aujourd'hui qu'une relative réalisation, qui n'est pas du tout à la hauteur des aspirations profondes des peuples de la région. L'antagonisme politique demeure, ainsi qu'une vision politique irrationnelle. Or, il faudrait redéfinir en toute priorité les rapports à l’État et à la société et résoudre les contradictions entre tradition et modernité en tant que forces essentielles de ce renouvellement. Je me suis par conséquent interrogé sur les chances qu'offrent ou pas d'ailleurs les récents changements dans la région à travers l'étude des relations tuniso algériennes après ce qui est convenu d'appeler communément le "printemps arabe", qui prend malheureusement de plus en plus l'allure d'un hiver qui obscurcit davantage l'horizon maghrébin et menace les fondements de l’État dans ses pays.
Au fur et à mesure que le temps avance, il apparaît clairement que le prétendu "printemps arabe", est engagé sur sa pente, que le pacte social est de plus en plus affecté, que la guerre civile pointe le bout de son nez, On observe une réapparition des cercles concentriques autour des différents pouvoirs prétendument démocratiques, qui ne gouvernent que pour servir le noyau dur et hétéroclite de ceux qui en échange de ce soutien, cherchent à assurer la survie de leurs intérêts vitaux au dépend des réels objectifs de ses soit disant révolutions. J'observe qu'on est désormais passé de l'étape non moins grave de troubles lancinants à l’ordre public, à une autre plus grave, celle du pire: la guerre civile. L'exemple égyptien après le délogement de Morsi par l’armée égyptienne, prouve si besoin la difficulté de l’exercice démocratique dans des pays longtemps soumis au monopartisme , à la marginalisation des intellectuels et plus largement la société civile.
Évidemment personne n'espère la reproduction de l'exemple égyptien en Tunisie ou ailleurs même si des espoirs sont nés en Tunisie quant à l'exportation de ce phénomène. Heureusement que les traditions politiques et les spécificités de chaque pays rendent toute comparaison inappropriée, puisque chaque pays s’inscrit historiquement et institutionnellement dans une logique différente au moment d’opérer un changement à son sommet.
Les bouleversements qui ont eu lieu au Maghreb sont différemment analysés. Pour certains, ils ne sont que la conséquence d'une longue nuit dictatoriale qui a obscurcit toute lumière sur plus de trois décennies de régimes sans partage arrivés à bout de souffle. Pour d'autres, ses révoltes ne sont que le produit de laboratoires bien rodées, spécialisées dans la déstabilisation des États de la région devenus indésirables après des décennies de soutien indéfectible apporté par les États-Unis et les puissances occidentales. La vérité serait probablement une synthèse entre les deux thèses. J'adhère personnellement davantage à la thèse du complot machiavélique de déstabilisation voulue par des puissances étrangères, inquiètes pour leurs intérêts stratégiques. Nombreux sont les penseurs arabes qui vont dans le sens d'un complot, notamment Ahmed Bensaada qui a collaboré à un ouvrage explosif publié en décembre 2012, « La face cachée des révolutions arabes » (7). Même si l'on accrédite l'idée d'un soulèvement populaire, il faudrait considérer qu'il a été mis sous influence, par ailleurs il faut souligner qu'en l’occurrence, on ne peut réellement parler de « réveil des peuples arabes » car ils n'étaient pas plus endormis que les autres peuples de la planète. N'oublions pas que les protestations et les révoltes en Tunisie étaient monnaie courante depuis les années 70. Je veux parler des révoltes du pain en 1978 et 1984 ou encore des événements de Redeyef, une cité minière au sud ouest de la Tunisie en 2008, sans parler naturellement des mouvements de libération nationale ou encore du nassérisme qui a révolutionné l’Égypte et le monde arabe. Il me semble qu'on davantage face à un retour en force de l'impérialisme et du néocolonialisme qui, me semble t-il, constitue l'enjeu majeur de ce printemps arabe.
Il me semble que le risque est grand de voir l’Algérie tôt ou tard, déstabilisée à son tour par le printemps tunisien. Des informations font état d'une volonté américaine d'exporter le printemps tunisien vers l’Algérie voisine, via une des vitrines de la CIA, l'ONG «Freedom House » qui se déclare aider à la défense des droits humains, les libertés et la démocratie, dans les pays en déficit dans ce domaine. Sur le site de cette ONG apparaît, en effet, une annonce intitulée « Directeur de projet – Tunisie » où l’on relève que celui-ci sera chargé de développer et mettre en œuvre des programmes visants à soutenir la démocratie et les militants des droits humains ; gérer le programme du point de vue stratégique, financier, ressource humaine, communication, surveillance et évaluation ; entretenir des relations avec des organisations locales des droits de l’homme et leurs militants, identifier les opportunités et élaborer, en coordination avec le directeur régional, des programmes de financement et d’organisations. Pour ce faire, « Freedom House » prend en charge les militants de première ligne qui luttent pour la « propagation de la liberté et de la démocratie dans le monde entier, dont la liberté de la presse et la liberté sur le Net ».
Certains leaders politiques algériens, ont bien compris le danger qui guette l'Algérie, notamment la Secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louiza Hanoun qui n’a pas manqué, lors d’un meeting organisé l'année dernière à Annaba, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, d'affirmer « qu’une société américaine privée recrute plus de 200 jeunes algériens résidant en Tunisie pour les utiliser dans le prochain épisode du printemps arabe prévu bientôt en Algérie ». Le nombre de blogueurs algériens impliqués dans ce programme est de 200, travaillant à «déterminer les restrictions sur les libertés en Algérie et à définir les besoins sociaux de la population ». Certains ont pour mission de « documenter les événements de la décennie noire en Algérie et les abus de pouvoir pendant les années 90 ». Elle a ensuite confirmé « la présence d'autres organisations non-gouvernementales appartenant au service de renseignements américains qui œuvrent pour la déstabilisation de l'Algérie, profitant des conditions socio-économiques difficiles des régions du sud de l'Algérie où l’on assiste à l’effervescence de slogans étranges appelant à la sécession du sud de l'Algérie ». Ce complot contre l'Algérie est encadré par un programme portant le nom de « nouvelle génération de militants pour la démocratie en Algérie »
Ces sont ces mêmes « cybers-collabos » comme on les dénomme en Tunisie qui ont contribué à cette « révolution des jasmins » sous la vigilance de «Freedom House » qui désormais a officiellement un bureau à Tunis pour « accompagner les Tunisiens dans leur magnifique mutation démocratique ». Selon « Tunisie-secret » (8) : « l’Algérie devait tomber en même temps que la Tunisie. En seulement deux mois (janvier et février 2011), il y aurait eu en Algérie près d’une vingtaine d’immolations par le feu. Selon des informations émanant du site d'information, les studios d’Al-Jazeera étaient déjà installés à Oujda, au Maroc, dès le 23 janvier 2011 pour filmer des scènes d’insurrection jouées par des figurants marocains, à faire passer comme des scènes se déroulant réellement dans des villes algériennes. Exactement comme cela s’est passé dans le cas de Benghazi et de Tripoli » ; pour conclure ainsi : « le gouvernement usurpateur de la Troïka ne se contente pas seulement d’envoyer des centaines de djihadistes mercenaires en Syrie. Il complote aussi contre l’Algérie selon un agenda américano-qatari », expliquait le site Tunisie secret.com.
Autre levier pour déstabiliser l'Algérie, on parle de la réactivation du sécessionniste Kabyle, une sorte de « Benghazi algérien », sujet on ne peut plus tabou en Algérie où l'on préfère parler plutôt des problèmes du Sud du pays. Évoquant la situation difficile et le faible niveau de croissance notamment en région de Kabylie et plus largement au sud du pays, Louisa Hanoune a mis en garde contre je cite « un éventuel soulèvement au sud algérien si les autorités officielles n’agissent pas aussitôt que possible pour contenir la situation et satisfaire les revendications des jeunes de cette région ». En conclusion de son discours, Louisa Hanoune attire fortement l'attention sur « le danger qui guette le pays, si Bouteflika ne tranche pas en urgence ces questions en vue d’éviter au pays les affres de la guerre au Mali et une éventuelle intervention étrangère dans le pays que préparent certains États et organisations ».
L'année 2013 semble être une année très difficile pour l'Algérie. En effet, le pays se trouve isolé et encerclé par des pays à pouvoir islamiste, qui doit gérer en plus le vide politique qui se profile à l'horizon avec les vacances du pouvoir au sommet de l’État avec un président bien affaibli à cause d'une santé de plus en plus fragile et la résurgence d'une guerre de chefs, sous l’œil bienveillant de l'armée et des renseignements militaires, seules titulaires véritables du pouvoir dans le pays. Sans parler de l'imposant voisin marocain qui connaît également une montée en puissance du pouvoir islamiste désormais à la tête du gouvernement dans ce pays à la faveur des réformes politiques entreprises par le roi, qui ont permis pour la première fois dans l'histoire de ce pays, des élections un tant soi peu transparentes et l'abandon du roi de quelques unes de ses prérogatives. Il faut également évoquer la situation très difficile au Sahel depuis l'intervention française au Mali, qui chacun le sait ne réglera pas du moins politiquement la situation très instable dans ce pays et plus généralement au Sahel où la présence de l'AQMI ou Al-Qaïda au Maghreb islamique, se renforce et qui voit l'arrivée massive de djihadistes venus de Libye, de Tunisie et de Syrie, combattre la présence française.
Profitant de cette situation très difficile dans la quelle est plongée l'Algérie, il semblerait que le Qatar fait tout pour empêcher un quelconque rapprochement entre Tunis et Alger, alors que plus que jamais ces deux pays ont un intérêt à le faire. D'un côté, le pouvoir tunisien dominé par le parti islamiste Ennahda ne lui a rien demandé et je ne vois pas comment il pourrait le faire étant donné la dégradation des relations entre les deux pays notamment après les imprudentes déclarations du président du mouvement islamiste tunisien Ennahda Rached Ghannouchi, mettant en avant les mérites du mouvement islamiste algérien à diriger le pays, chemin faisant il ne fait qu'obéir aux ordres de ses maîtres qataris.
Pour s'en convaincre, il faut rappeler que lors de la prise d'otages de la raffinerie d'In Amenas, la chaîne qatari Al Jazira était le seul média à avoir donné la parole à l'un des fondateurs du FIS ( Front islamique du salut) algérien, qui vit en exil à Doha. Ce dernier, profitant de l'occasion, s'est lancé dans des attaques virulentes contre les autorités algériennes, rappelant à l'envie que le peuple était « choqué de l'autorisation donnée à la France de survoler le territoire ». De même Al Jazira était la seule chaîne à couvrir une manifestation de protestation de l'ancien numéro deux du FIS Ali Belhadj lors de laquelle il avait critiqué la position algérienne. Ce sont là deux exemples parmi d'autres de tentatives de déstabilisation de l'Algérie par le Qatar.
De son côté l'Algérie aujourd'hui dans l’œil du cyclone, menacée à son tour par les effets pervers de ce printemps arabe, au moment où le pays traverse un grand moment de solitude diplomatique, est bien obligée à rester vigilante pour déjouer ces tentatives. Paradoxalement l'échec de la révolte tunisienne lui offre l'occasion de se prémunir de ce danger et de lui assurer un retour retentissant sur la scène régionale, en proposant un plan Marshall pour la Tunisie par l'ouverture de son marché de travail, aux nombreux chômeurs tunisiens. L'Algérie qui reçoit pas moins de 80.000 ouvriers chinois, pourrait facilement ouvrir sa porte à quelque 50.000 travailleurs tunisiens, ce qui peut signifier le retour d'Alger sur les radars régionaux n'en déplaise aux qataris qui cherchent au contraire à l'isoler pour mieux la contrôler.
En définitive, il faut bien admettre une chose, c'est que les expériences observées dans d'autres pays avancés, prouvent que le développement économique ne pourrait se produire que dans des grandes entités potentiellement autonomes à condition de former un ensemble régional commun. La nécessité de grands moyens et d'un large marché intérieur sont les conditions préalables qu'à l'évidence aucun pays maghrébin ne peut remplir à lui tout seul et certainement pas aujourd'hui dans ses conditions de désordre total et d'instabilité chronique, fruit des dernières révoltes arabes.
Mohamed Troudi, chercheur en relations internationales et stratégiques, associé à L'AGP, « Académie de Géopolitique de Paris », politologue et analyste en politique étrangère, Paris.
(1) Alain, de son vrai nom Émile-Auguste Chartier est un philosophe, journaliste et essayiste
(2) Frantz Omar Fanon, est un psychiatre et essayiste français, martiniquais et algérien, il est l'un des fondateurs du courant de pensée tiers-mondiste qui cherche à analyser les conséquences psychologiques de la période coloniale tant sur le colonisateur que le colonisé.
(3) Jacques Berque, est un sociologue et anthropologue orientaliste français, titulaire de la chaire d'histoire sociale de l'Islam contemporain au Collège de France de 1956 à 1981 et membre de l'Académie de langue arabe du Caire de 1989 à sa mort en 1995. Il est l'auteur de nombreuses traductions, dont celle du Coran et de Mémoires des deux rives, appréciées notamment pour la qualité de leur style. Il est attaché à la création d'une véritable solidarité méditerranéenne, déplorant notamment l'éloignement de l'Europe de sa dimension essentielle la Méditerranée à qui elle a tourné le dos en regardant depuis Maastricht plutôt vers le Nord.
(4) En effet suite à la multiplication des opérations militaires menées par les unités de l’ALN et l’approvisionnement des Moudjahidines en armes à travers les frontières Est et Ouest et dans le but essentiel d’isoler la Révolution algérienne de tout soutien que peuvent apporter Tunisiens et Marocains, les autorités de l'occupation décident de fermer les frontières en construisant deux lignes de barbelés électrifiés constituant un barrage au niveau des frontières Est et Ouest de l’Algérie. A l'origine l'idée de ces lignes électrifiées, revient au général français Paul Vanuxem à qui on prêtait des positions politiques très tranchées sur l'Algérie française, elles sont connues sous les noms de lignes Challe et Morice. La ligne Morice : porte le nom d’André Morice, ministre de la défense dans le gouvernement de Bourgès-Maunory. Les travaux pour son édification furent lancés en août 1956. La ligne s’étend à l’Est sur une distance de 750 km de Annaba (au nord) à Négrine (au Sud). Large de 30 à 60 mètres, elle s’étend à l’ouest sur la même distance (750 km) de Ghazaouet au Nord à Béchar au Sud. La ligne Challe : désignée sous le nom de Maurice Challe, commandant des forces françaises à l’époque, elle fut édifiée sur le front Est du pays, à la fin des années 1958 derrière la ligne Morice afin de la renforcer et contribuer à interdire le passage des Moudjahidines. Les deux lignes constituent un ensemble de réseaux parallèles de fils électrifiés et de barbelés de différentes formes et dimensions. Les lignes étaient dotées de tous les moyens d’extermination des personnes allant de la haute tension électrique (trente mille volts sur la ligne Challe) aux différents types de mines notamment anti personnelles.
(5) L'UMA a été fondée le 17 février 1989, date à laquelle le Traité constitutif de l'Union du Maghreb Arabe, a été signé par les Cinq Chefs d’États à Marrakech à savoir les trois pays du Maghreb central ( Tunisie,Algérie,Maroc), la Libye et la Mauritanie. Depuis cette union est restée sans lendemain tant la volonté politique manquait cruellement à sa réalisation en dépit d'une demande forte des peuples de la région. Le déclenchement de la crise algérienne désignée communément par la décennie noire, l'absence de perspectives sérieuses de résolution du conflit du Sahara occidental et le déclenchement des printemps arabes ont sérieusement compromis les chances d'une relance de l'unité maghrébine alors que le besoin se fait sentir plus que jamais.
(6) Ce document a été publié dans la revue du Maghreb en 1918
(7) "La face cachée des révolutions arabes", éd. Ellipses, décembre 2012, est un livre qui tente d'aider à comprendre le « printemps arabe » qui a commencé par déstabiliser la Tunisie s'étendant par la suite à de nombreux pays arabes dans le quel Bensaada, un des premiers intellectuels arabes vivant au Canada à avoir mis en exergue le rôle de certaines ONG américaines dans la formation des cybers-collabos ayant déstabilisé les régimes arabes.
(8) Tunisie Secret, portail d'informations confidentielles sur la Tunisie et le monde arabe. http://www.tunisie-secret.com